Retour à l'Ouest
mineurs des Asturies sont vaincus, même si
tous ceux qui tiennent à leurs biens particuliers plus qu’à la vie des pauvres
et qu’à l’avenir du monde réussissent, pour une époque encore, à nous imposer
la loi du canon…
En soixante-sept ans…
28-29 mai 1938
Avons-nous frôlé la guerre samedi dernier ? Il se peut.
L’Europe, prise d’un étrange vertige, paraît côtoyer l’abîme. Il ne s’ensuit
pas d’ailleurs qu’elle doive y tomber. Tout voyage en haute mer terminé comme
il se doit, comme se terminent de règle les voyages, constitue en un certain
sens « une série de catastrophes évitées ». La vie même est ainsi. Souvenons-nous-en
pour que la réalité du péril n’amoindrisse point notre sentiment de la victoire
sur le péril. Ce monde vit dangereusement, mais ce monde est le nôtre ; et
qu’il succombe à son vertige ou le domine, que la paix permette à la classe
ouvrière de s’affermir pour sauver demain la civilisation, ou que la guerre lui
impose demain de reprendre au milieu des ruines l’héritage d’une société
faillie, plusieurs choses essentielles ne changent point : notre conscience
du cheminement de l’histoire, notre devoir, nos raisons de vivre.
Fronts d’Espagne, frontières précaires de Tchécoslovaquie, menaces
sur la Tunisie, manœuvres en Méditerranée… Il ne faut tout de même pas que ces
événements du plus vieux style de l’histoire – celui des vieilles guerres du
vieux monde – nous empêchent de nous retourner vers notre plus grand souvenir
de mai. Il y a soixante-sept ans, en mai 1871, les fédérés de la Commune de
Paris livraient aux versaillais leurs derniers combats. Barricade après
barricade, rue après rue, ils défendaient les hauteurs de Paris. Dombrowski , désespéré par l’incapacité militaire d’un
prolétariat héroïque mais brouillon, cherchait la mort aux environs d’une porte
de la ville, abandonnée à l’ennemi par la négligence des communards. Ne pouvant
plus rien, Delescluze , à soixante-dix ans, la
redingote sévèrement boutonnée, allait calmement au-devant des balles. Hommes, femmes,
enfants, des milliers d’inconnus tentèrent vainement de racheter par un courage
sans bornes les tâtonnements, les fautes, les divisions, l’insuffisance
politique de « la première dictature du prolétariat », selon le mot
de Marx et d’Engels. Puis, ce fut le massacre. Les classes éclairées (on sait
que ce sont les classes riches…) du peuple le plus civilisé de la terre se
révélèrent tout à coup, dans leur victoire sur les pauvres, d’une férocité qui
les ramenait aux époques barbares, antérieures à l’esclavage même, où la guerre
n’était qu’extermination. (Car l’esclavage fut en des temps lointains un
progrès économique : faire travailler le prisonnier de guerre étant plus
avantageux que le tuer ; la brute humaine, en prenant conscience de ce
fait, gravit un échelon…). Chaque quartier de Paris a ses abattoirs d’hommes, où
des gens de l’ordre fusillent les communards ; et des élégantes insultent
les prisonniers qui vont au supplice… Il y a soixante-sept ans ! Moins d’une
vie d’homme. C’est Paris d’hier, c’est l’histoire d’hier. Et c’est Séville, Badajoz,
Malaga, Santander, Bilbao d’aujourd’hui. Un écrivain catholique ne vient-il pas,
dans un sursaut d’écœurement, de nous dire en trois mots ce qu’est la guerre de
l’ordre, telle qu’il l’a vue à Majorque et ailleurs [229] ? Il s’est
aperçu, cet ingénu, qu’elle consiste essentiellement à « tuer du Pauvre ».
Nous le savons depuis longtemps, M. Bernanos. Lisez donc Lissagaray [230] , ou Pelletan (
La Semaine sanglante
[231] ), ou
Les Cahiers rouges
de Vuillaume [232]
.
« Tuer du pauvre » – mais c’est
ça la guerre civile, du côté riche, depuis toujours. Et les pauvres, Dieu merci,
ne sont pas près de l’oublier…
Eh bien, l’histoire contemporaine, celle qui préfigure l’avenir,
commence pour nous par l’éclatante, par la généreuse victoire de la Commune de
Paris qui n’a voulu tuer personne – et par l’inoubliable saignée infligée au
peuple de Paris. Rappellerai-je que l’histoire a des chiffres précis ? Que
la Commune, en apprenant que l’on fusillait les fédérés faits prisonniers, fit
exécuter soixante otages –
soixante
;
tandis que les témoins de la répression estiment que les versaillais passèrent
par les armes
entre vingt et
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