Retour à l'Ouest
trente mille
ouvriers parisiens… La Commune, revanche des pauvres, naît de la
guerre sur les ruines du Second Empire. Première victoire des prolétaires, elle
ne dure que deux mois et succombe. C’en est fini, avec elle, de la première
Internationale des travailleurs, fini des « Rouges », fini de « l’utopie
socialiste » ; la bourgeoisie est bien sauvée. Un rouge ciment
affermit pour les siècles le socle du coffre-fort. On peut du moins le croire, on
le croit…
L’an 1870, cependant, dans une petite ville de Russie, au
bord de la Volga, un enfant est né, qui sera un jour Lénine… Après la défaite
des communards, l’ordre capitaliste s’affirme si solide, si totalitaire au sens
profond du mot, puisque rien ne lui échappe, de la pensée, de l’art, du langage
même, qu’il peut s’offrir le luxe d’être libéral et bientôt démocratique. Et
vingt ans plus tard, le socialisme persécuté organise dans toute l’Europe des
millions d’hommes. Un demi-siècle plus tard, les mêmes causes, mais agissant à
une échelle infiniment plus vaste, produisent les mêmes effets, au centuple. La
révolution russe reprend le drapeau, la tradition, les idées, les lois mêmes de
la Commune de Paris. De 1917 à 1923, grâce à elle, le souvenir de la Commune
est l’idée-force la plus vivante, la plus ardente entre les côtes du Pacifique
où des partisans rouges fondent la Commune libertaire de Nikolaevsk sur l’Amour,
où l’Armée rouge, conduite par Ouborevitch (aujourd’hui
fusillé) entre à Vladivostok, et Berlin où militent les spartakistes, la Ruhr
où Max Hölz forme des bataillons ouvriers pour la
révolution allemande…
Se peut-il vraiment que les économistes, les généraux, les
financiers, les dictateurs qui préparent les guerres en se disant qu’il suffit,
après tout, pour résoudre les problèmes, de « tuer du pauvre » – se
peut-il qu’ils soient ignorants de l’histoire du dernier siècle au point de n’y
puiser aucun avertissement ?
Mécanisme des catastrophes
4-5 juin 1938
L’homme n’est pas la brute féroce que l’on pourrait croire… L’aviateur
qui bombarde Granollers ou Canton est un brave garçon ordinaire, bon mécanicien,
affectueux dans le privé, capable, comme tout le monde, de risquer sa vie pour
les siens, mais discipliné [233] .
Il obéit. Le crime qu’il commet n’est pas le sien, c’est celui du système dans
lequel il n’est, lui, qu’une petite mécanique pensante, en uniforme, tout juste
bonne à diriger à travers le ciel, vers la Catalogne ou la Chine, les
trimoteurs de bombardement, machines à tuer et détruire, construites par des
ouvriers et des ingénieurs dont pas un n’a souhaité, voulu, médité, consenti
ces choses…
Et ce soldat discipliné fait
son devoir
. Il a le droit d’être amèrement content de
lui-même, ayant surmonté, pour obéir, la peur, le sentiment humain, les plus
justes révoltes. Ses chefs sont-ils plus criminels que lui ? Ce sont des
techniciens de la guerre et la guerre consiste à détruire les forces vives de l’ennemi.
Plus elle est totale et plus elle sera courte, et moins elle infligera de
souffrances à ceux qui la font des deux côtés. Effroyable et sans doute absurde
principe d’économie. Les hommes de guerre ont une façon froide et rationnelle
de poser les problèmes, aussi inhumaine qu’une opération algébrique projetée
dans l’abstrait. Une lutte de tant de semaines ou de mois, engageant telles
forces données, entraînera une consommation de matériel humain, de pétrole, de
blé, d’or, de produits chimiques, de matériaux de construction que l’on évalue
en chiffres précis. Tant de milliers d’hommes jeunes par jour, en moyenne, et
telles quantités de mazout et de grains. Données du même ordre, en définitive. Mais
comme le matériel humain mange, pense, parfois se dérobe, se rebiffe, se
révolte, c’est le plus instable et le plus inquiétant.
Comment l’assouplir assez pour lui faire faire ce qu’il ne
veut pas faire, ce qui est contraire à tout son être, ce qui se retournera
infailliblement, mortellement, contre lui-même ? Comment obliger ces
hommes pris en masses, par peuples entiers, à consacrer toutes leurs énergies
au massacre où ils doivent eux-mêmes succomber ? Par le dressage, par la
crainte et par la psychose. Le dressage prend l’enfant dès ses premiers pas. On
lui met alors, dans les pays qui ont poussé le plus à fond les
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