Retour à l'Ouest
besoin de
mimétisme. Pour détourner le cours nécessaire de l’histoire, feindre de s’y
adapter. Pour imposer aux hommes de très vieilles chaînes, reforgées à neuf
dans les plus barbares forges, se présenter d’abord en briseurs de chaînes. Leur
mimétisme va très loin. Hitler a pris au socialisme jusqu’au drapeau rouge ;
on sait que les nazis ont adapté à la musique des chants révolutionnaires, des
paroles d’une inspiration opposées. Et ce ne sont là que manifestations
curieuses d’un phénomène en réalité beaucoup plus profond.
… Ces réflexions me viennent en parcourant un ouvrage for
intéressant, récemment édité par la librairie Gallimard sous ce titre :
Histoire des Révolutions. De Cromwell à Franco
[242] . Les éditeurs y
ont compris un chapitre sur « la marche sur Rome » (du reste
remarquable, – par A. Rossi [243] )
et un autre sur « la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes »
(de R. Lauret). L’ouvrage n’en est que plus riche, mais il se présente
désormais sous un titre déplorablement impropre. Nous avons besoin de notions
claires, bien définies, sans lesquelles, en sociologie comme dans toute autre
science, aucune recherche exacte n’est possible. Des classes entières ont aujourd’hui
intérêt à fausser le sens des mots les plus simples ; nous avons à
maintenir contre elles, à travers une confusion des idées qui ne fait que
traduire celle des luttes sociales, les droits de la pensée scientifique, rigoureuse
dans l’emploi des termes. Des faits différents, voire opposés, réclament des
appellations différentes ; ou les mots ne signifient plus rien. Le pouvoir
passe de mains en mains, avec plus ou moins de violence, tout au long des
siècles. On le voit tour à tour féroce, fourbe, sanguinaire, perfide, indulgent,
libéral, selon qu’entre les classes en présence s’instituent des équilibres
plus ou moins stables, plus ou moins exempts de menace pour les détenteurs de
la richesse et de l’autorité. La tyrannie est le régime coutumier des sociétés
inquiètes, mal bâties, minées à l’intérieur par leurs propres contradictions. Les
tyrannies modernes n’innovent absolument rien ; rétrogrades, et mêmes
antiques par leur psychologie, leurs moyens, leurs fins, elles ne réussissent à
donner un peu le change à cet égard que grâce à l’emploi qu’elles font de la
technique de l’âge des machines.
Le mot révolution a en réalité un sens précis : il désigne
les bouleversements qui modifient la structure de la société, c’est-à-dire, en
définitive, le statut de la propriété, le mode de la production, la répartition
des richesses.
La Révolution française de 1789-1793 dépossède l’aristocratie
féodale au profit du Tiers État (bourgeoisie). La Commune de 1871 contient en
germe une révolution tout aussi profonde parce qu’elle fait passer le pouvoir à
la classe ouvrière (non possédante, acheminée dès lors vers l’expropriation des
riches ; et les Versaillais le savaient bien). La révolution russe de 1917
établit la dictature du prolétariat et procède à la nationalisation de l’industrie,
des transports, des richesses naturelles. La révolution japonaise de 1868 a été
marquée par l’expropriation et la destruction de l’ancienne aristocratie
féodale ; elle ouvre les voies au développement capitaliste. Les révolutions
mexicaine (1910) et chinoise posent avant tout le problème de la propriété
agraire.
Les tyrannies modernes, par contre, outre qu’elles sont tout
à fait différentes par leurs cours et jusque dans leurs façons de vaincre (elles
ne prennent pas le pouvoir, à vrai dire, elles le reçoivent d’un État devenu
trop débile pour se défendre lui-même contre la révolution possible) ont pour
objet essentiel le maintien des privilèges menacés la veille. Comme ils sont
devenus incompatibles avec le fonctionnement bon ou passable de la machine
sociale, on ne peut plus les maintenir qu’en les aménageant, c’est-à-dire en y
portant atteinte. Les contre-révolutions fascistes sont ainsi contraintes d’attenter
à la propriété capitaliste, mais c’est malgré elles, et toujours en s’efforçant
de sauvegarder en gros les intérêts des classes riches. Elles ressemblent par
là, de loin, aux révolutions : comme le poison au calmant.
Défense de la culture…
30-31 juillet 1938
Une « Association internationale des écrivains » –
« pour la
Weitere Kostenlose Bücher