Retour à l'Ouest
kilomètres que les
Japonais estiment peut-être leur appartenir. En tout cas, ils le diront. Deux
prestiges militaires s’affrontent à coups de canon. De part et d’autre, évidemment,
une reculade serait possible ; le sens humain l’exigerait. À qui sont ces
collines en réalité et que valent-elles ? Valent-elles la vie du plus
humble des laboureurs des deux empires ? Tel n’est pas le souci de ceux qui
décident d’ouvrir le feu ou d’écrire une note diplomatique afin de gagner du
temps.
Ce sera la guerre, avec ou sans le mot, avouée ou, plus
probablement, inavouée, si, du côté russe, Staline estime que le Japon s’est
suffisamment usé en un an dans les campagnes d’invasion qu’il poursuit en Chine
(sans déclaration de guerre, pour ne pas violer le pacte Briand-Kellog, vous
saisissez ? car le Japon fait honneur à sa signature…) Ce sera la guerre
si les chefs militaires du Japon estiment que mieux vaut, malgré d’immenses
difficultés, l’accepter aujourd’hui que d’attendre encore pour devoir peut-être
l’accepter demain quand on aura consumé en Chine d’autres divisions et d’autres
milliards… Du côté japonais les considérations sur la situation intérieure de l’URSS
sont susceptibles de peser dans le même sens. Les exécutions de généraux, la
destruction des cadres de l’armée soviétique, la destruction de l’état-major
formé en vingt années de travail diminuent la capacité de résistance des Russes :
la crise du régime stalinien, attestée par l’épuration sanglante et continue
des milieux dirigeants, a de funestes conséquences économiques et politiques.
Le terrible c’est que, des deux côtés, l’on se trompe
grandement. Quelle que soit la crise intérieure de l’URSS, le monde soviétique
recèle en lui une si jeune puissance, qu’il est capable de fournir, dans une
conflagration, les efforts les plus surhumains et les plus inhumains. L’art de
la guerre est celui que les tyrannies pratiquent le mieux, puisqu’elles sont
faites pour opprimer et que l’oppression conduite à sa fin logique, amène
spontanément à tuer et détruire. Le Japon, de son côté, est très loin d’avoir
donné en Chine la mesure de ses forces ; à aucun moment jusqu’ici, il ne s’est
senti directement menacé : ses réflexes défensifs n’ont pas joué.
Le terrible aussi c’est que les peuples dont le sort se joue
n’ont pas voix au chapitre. S’ils pouvaient parler, la paix serait certaine ;
plus une goutte de sang ne coulerait pour la possession des collines avoisinant
le lac Khassan… Et l’on constate ainsi que la plus profonde révolution des
temps modernes a pour l’heure manqué son but : elle entendait établir une
démocratie des travailleurs où la collectivité tout entière déciderait de son
propre avenir. Soviets locaux, congrès régionaux, congrès de l’union, la
volonté des masses devait s’affirmer d’échelon en échelon pour trancher toutes
les questions vitales, à commencer par celles de la guerre et de la paix. Ce
grand rêve fut une grande réalité pendant les années du début, quand la
dictature du prolétariat, mobilisant des classes entières, imposait ardemment à
une minorité la loi d’une majorité en marche. Aujourd’hui, un conseil des dix, semblable
à celui de la Venise d’autrefois – capitale du soupçon et du secret – décide de
tout ; et dans ce conseil, la voix d’un seul compte seule au milieu du
soupçon mortel et du secret. Le pays de la révolution se situe, dès lors, par
la concentration du pouvoir – et qui signifie l’aveuglement du pouvoir – au
niveau politique de son adversaire, un vieil Empire féodal pourvu d’une
armature capitaliste-impérialiste…
Les puissances occidentales et les États-Unis ne
verraient-ils point avec quelque satisfaction l’orage menaçant se localiser au
bord du Pacifique ? Nulle part les peuples ne sont consultés. Nulle part
les masses ne sont assez organisées, assez conscientes pour prendre la parole, jeter
leur sentiment dans la balance. L’humanité a tout à craindre.
« L’incident est clos », écrivent les journaux
officieux au moment où nous côtoyons l’abîme. On retrouve dans leurs textes, à
vingt-quatre ans de distance, le style inoubliable de M. Poincaré :
« La mobilisation n’est pas la guerre… » Méditons, en ces jours
anniversaires d’août, ce dense passage d’un auteur informé sur les origines de
la
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