Retour à l'Ouest
centrale, leur assurer du travail, s’enrichir de
leurs énergies. On ignore pourquoi le Bureau politique décida finalement de
créer une sorte d’État juif dans un pays perdu de l’Extrême-Orient. Le décret
du 29 août 1936 contenait en tout cas ces mots : « Pour la première
fois dans l’histoire, le peuple juif réalise le profond désir qu’il a de se
créer une patrie, en se donnant un État national… » Seulement, pour ce
faire, il fallait transporter une population juive à neuf mille kilomètres des
régions où elle s’est fixée depuis des siècles.
En fait, les Juifs de l’URSS semblent bien avoir fait échec
à cet audacieux mais inconfortable dessein. Outre la transplantation, on leur
imposait un changement total de travail. Accoutumés au petit commerce et à l’artisanat,
on leur demandait de devenir des agriculteurs, dans les kolkhozes.
L’URSS commémore en ce moment le dixième anniversaire du
début de la colonisation juive du Birobidjan qui, en 1928, comptait 34 000
habitants, tous non-juifs. Les premiers colons israélites, au nombre de 650, n’arrivèrent
à vrai dire qu’en 1929. Il y en eut 3 000 en 1931. Le plan de
transplantation de 25 000 Juifs, adopté pour 1932, ne fut pas réalisé, vraisemblablement
par suite de la famine, générale à ce moment, et de la désorganisation des
transports. La population juive du Birobidjan, portée d’après certains chiffres
officiels publiés par des services de propagande à l’étranger à 19 000
âmes, en 1932, tomba même en 1933 à 7 000 âmes. 12 000 colons, récemment
arrivés, avaient déjà fui ce pays inhospitalier… L’année 1933, terrible pour l’URSS
entière par suite de la crise de l’agriculture due à la collectivisation forcée,
compromet ainsi l’existence de l’État juif soviétique naissant. Le pouvoir central
va, dès que la paix commencera à revenir dans les campagnes, reprendre son action
pour la colonisation du Birobidjan : et la presse officielle déplorera
maintes fois l’exode des colons rebutés par les difficultés de l’installation… Quelle
est aujourd’hui la population israélite de ce territoire ? D’après l’organe
officiel
Emes
, elle s’élève à
18 000 personnes sur une population totale de 76 500 (soit 18 %) ;
proportionnellement moins nombreux que dans certaines villes de l’Ukraine, les
Juifs sont donc en minorité dans leur propre République. Leur établissement
agricole paraît avoir complètement échoué ; par contre, dans la capitale
même de Birobidjan, ils ont repris leur existence de petits artisans, coopérateurs,
intermédiaires, fonctionnaires…
Les sanglantes répressions des dernières années ne les ont
pas épargnés dans ce coin perdu de l’Asie extrême-orientale. Les dirigeants du
Birobidjan nommés par Moscou en 1933-1934, Lieberberg et Khavkine, ont été dénoncés comme des « ennemis du peuple » dès
1936-1937 et « liquidés » on ne sait au juste comment, à l’époque des
grands procès. Leurs successeurs ont eu le même sort : une brève dépêche
de Moscou annonçait il y a peu de temps l’exécution de dix-huit fonctionnaires,
gouvernants du Birobidjan, rituellement accusés de trotskisme, sabotage, intelligence
avec l’ennemi… Dans l’entre-temps, on avait pensé à confier au Guépéou le soin
de hâter la colonisation du pays. La police politique considéra que la colonie
juive, située dans une région frontière particulièrement menacée par le
voisinage du Japon, avait besoin d’être avant tout épurée des éléments suspects
et douteux qu’elle pouvait contenir. Une « brigade spéciale de la Sûreté »
se rendit au Birobidjan où elle procéda à des arrestations et à des expulsions
massives, parmi les plus vieux colons mêmes et notamment parmi les Juifs
lituaniens qui avaient été là de véritables pionniers… En 1937, enfin, l’ambassadeur
de l’URSS à Washington, Troyanovski , dissipait les
dernières illusions que l’on pouvait conserver sur l’avenir du Birobidjan en
faisant savoir que les Juifs de l’étranger ne sauraient y être admis.
Le Birobidjan juif ne semble donc guère viable au dixième
anniversaire de sa fondation. Mais il a déjà une histoire pleine de pages
héroïques et de pages douloureuses, et d’autres pages encore, tout à fait
noires… Car sa destinée ne fait que refléter quelques aspects d’une tragédie
infiniment plus vaste.
N. B. Toutes les
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