Retour à l'Ouest
car
jusque-là il n’avait encore jamais vaincu.
Jour après jour, depuis avril 1789, l’effervescence
croissait ; ses raisons principales étaient d’ordre économique : disette,
cherté des vivres, inégalité, accaparement. Les finances achèvent de péricliter,
les classes riches étaient mortellement divisées. Le 12 juillet, pendant que le
sang coule aux portes de Paris et que les citoyens constituent une municipalité
et une milice armée, le roi congédie Necker, banquier estimé des bourgeois, et
le remplace au pourvoir par un duc de Brocqueville. Le Tiers État voit se lever
le spectre de la banqueroute ; les faubourgs croient entendre le pas
cadencé des troupes qui, demain, viendront « rétablir l’ordre »…
Comment se prépare la journée du 14 ?
Le certain c’est qu’elle fut préparée. Quelqu’un fit sonner
le tocsin. Des inconnus se mirent à forger des piques… Le 13 juillet le peuple
anonyme, ce peuple des pauvres que les publicistes appellent un peuple de
brigands, est le maître de la rue. Des hommes dont on n’a pas retenu les noms, qui
sont peut-être quelques dizaines, peut-être quelques centaines, le conduisent
vers les armureries, lui font prendre aux Invalides 28 000 fusils. Le 14, dès
l’aube, une foule immense rôde autour de la forteresse royale de la Bastille, qui
est surtout une prison. Les vainqueurs de la Bastille, cités par
Les Révolutions de Paris
sont des
inconnus et qui, sauf l’huissier Maillart, retournent à l’obscurité : Angré,
grenadier des gardes-françaises… Elie, officier au régiment de la Reine… Le
sieur Humbert, demeurant rue Mirepoix… Le sieur de la Renie, jeune littérateur…
Le nommé Louis-Sébastien Cullivier, âgé de 12 ans, fils d’un jardinier de
Chantilly, entré le cinquième dans la forteresse, a couru sur le haut de la
tour de la Bazinière où était le drapeau, s’en est emparé et l’a promené avec
hardiesse sur cette plate-forme… » Des cent assaillants de la Bastille qui
avaient péri, le tiers laissaient des familles dans un dénuement complet… Le
courage et l’initiative des pauvres venaient de commencer la démolition de l’ancien
régime.
Révolutions et tyrannies *
23-24 juillet 1938
L’intelligence suit volontiers la pente du moindre effort. Plutôt
que de rechercher la notion précise, elle use alors des mots un peu au hasard, comme
à l’aveuglette. Et il y a bien dans cette façon de faire une part d’aveuglement,
qui n’est tantôt qu’ignorance, routine, laisser-aller, et tantôt – chose plus
grave – duplicité. Avez-vous observé combien le sens des mots s’obscurcit dès
qu’il s’agit des grands intérêts sociaux ? Le vocabulaire de la presse
politique est ainsi encombré d’une foule de mots clichés que l’on s’applique à
employer tout de travers quand ce n’est pas à contresens. C’est qu’ils servent
à tromper. Et dans les luttes sociales auxquelles, bon gré mal gré, nous
participons tous, la tromperie verbale joue un rôle croissant depuis que la
diffusion de la parole par l’imprimé ou l’onde aérienne est devenue le moyen le
plus commode de façonner les esprits. Ici interviennent les méthodes de la
suggestion, employées dans certains pays avec une brutalité inexorable : quand
un gouvernement totalitaire fait affirmer un slogan par ses journaux, ses
stations d’émission, ses professeurs en chaire, ses maîtres d’école dans la
classe, ses dramaturges sur la scène, ses agitateurs sur la place publique, le
sens des mots devient en somme secondaire. L’effet mécanique de la répétition à
l’infini s’additionnant à celui de la puissance mise en œuvre, qui force le
respect, emporte les résistances, implique les plus graves menaces, ouvre des
possibilités d’excitation, cet effet mécanique suffit à créer chez les
auditeurs une sorte d’hypnose…
L’intelligence n’est plus en question ; elle recule, au
contraire, s’écarte, abdique, faisant place à l’obéissance.
Mussolini et Hitler ont usé de ces procédés pour s’approprier
l’un des mots les plus lourds de signification du temps présent : le mot
révolution.
De même que le mensonge rend involontairement hommage à la
vérité, les dictateurs, portés au pouvoir par des contre-révolutions, rendent
ainsi hommage à l’idée qu’ils ne sauraient vaincre complètement. Ils cherchent
à bénéficier de son prestige et, ce faisant, obéissent eux-mêmes à un
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