Retour à l'Ouest
quelques années tombée sous l’influence soviétique. Dans
ces deux cas, la politique n’a été que la suite de l’économique et c’est dire
qu’elle a suivi sa pente naturelle. Ce qui s’est accompli n’était guère
évitable. Mongolie et Sin-Kiang n’ont de routes commerciales commodes que vers
la Russie, voués dès lors à dépendre de l’industrie russe pour leur
ravitaillement en produits industriels. On écrirait néanmoins sans peine des
ouvrages forts intéressants, truffés de pièces curieuses, si l’on appliquait
les méthodes d’investigation de M. Kawakami à la pénétration britannique
au Tibet et japonaise même en maints autres lieux de la Chine. Par omission et
sens unique toute l’argumentation japonaise porte à faux, bien que vraie.
À quoi bon, d’ailleurs, y recourir ? La Chine a bien d’autres
torts que sa criminelle hostilité envers l’Empire voisin qui lui offre une
puissante tutelle ; son tort essentiel est d’être un débouché naturel pour
la colonisation nippone. « Voici un pays – le Japon –, écrit notre auteur,
qui ne dispose que d’un territoire minime et dont la population est plus à l’étroit
dans ses frontières que celle de n’importe quelle autre nation ; un pays
dépourvu de ressources naturelles… ; un pays qui se heurte partout aux
murailles douanières et aux contingentements ; un pays enfin qui se trouve
face à face avec l’impérialisme rouge… » Ceci réfute cela. Point n’est
besoin d’invoquer l’impérialisme rouge quand on en a tant dit sur ses propres
besoins. M. Kawakami nous apprend aussitôt, ce que nous savions sans lui, que
le paysan japonais, vivant sur d’infimes parcelles, ne mange jamais à sa faim ;
que l’ouvrier vit d’une poignée de riz en travaillant beaucoup. « Nous n’avons
ni terres, ni matières premières, ni débouchés pour notre industrie ; et
trop de population. Nous étouffons chez nous. » Voilà l’essentiel de la
thèse, voilà la justification profonde de la politique de conquête poursuivie
en Chine. Mais alors, pourquoi nous parler des torts de la Chine et invoquer l’influence
soviétique ?
Parce que cette forte argumentation, en dépit de son fond de
vérité économique, est tout de même fausse. La misère des paysans et des
ouvriers du Japon n’est-elle pas due, tout autant qu’à la surpopulation, qu’au
manque de terres et de matières premières, au régime social ? On voudrait
connaître la répartition du revenu national ; savoir quelles parts en
reviennent à la bourgeoisie, à l’aristocratie, à la cour, au militarisme. L’exemple
de maints pays civilisés démontre que l’extrême densité de la population
favorise plutôt l’accroissement du bien-être, à cette double condition : paix
durable et régime de la production satisfaisant en gros les masses… Il est d’autre
part évident que les guerres de conquête, en les supposant même victorieuses, ne
porteront de fruits qu’à longue échéance : d’ici là, elles aggraveront la
misère, l’état de crise, tous les périls, toutes les souffrances. Mais à la
crise intérieure, elles opposeront la diversion du péril extérieur.
L’esprit de conquête, enfin, même justifié par d’impérieuses
nécessités économiques, ferait bien de se modérer lui-même : ou il
courrait aux abîmes. Le Japon a conquis depuis moins de dix ans la Mandchourie,
deux fois aussi grande que la France, fertile et abondamment pourvue de
richesses naturelles ; il a conquis le Chahar [248] , le Jehol, la
Mongolie extérieure… Quel vertige l’amène à tenter la conquête du continent
chinois tout entier, surpeuplé lui-même, en proie au même drame social, bouleversé
par une immense révolution mal éteinte ? Sur tous ces points la thèse de M. Kawakami
nous apparaît d’une faiblesse dérisoire ; car il n’est guère possible d’invoquer
des besoins ou des nécessités. L’explication de la guerre est dans le régime
social de l’Empire, dans la psychologie de ses gouvernants. Il ne s’agit pas d’un
peuple réduit à conquérir pour vivre, mais, fort loin de là, d’un impérialisme
capitaliste, aggravé de survivances féodales, qui voit dans la guerre un
dernier moyen de durer et de croître, perd le contrôle de lui-même et travaille
vraisemblablement à sa propre perte.
Extrême-Orient II. Blücher *
20-21 août 1938
Le canon s’est tu sur la colline de Tchang-Kou-Feng… On
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