Retour à l'Ouest
sur le terrain de la
critique historique, il faut reconnaître que l’origine des
Protocoles
demeure mystérieuse et que
son auteur ou ses auteurs restent inconnus… » Admirons l’escamotage du
problème. Il ne reste en tout ceci qu’une inconnue relative : l’état civil
exact du subordonné du policier Ratchkovsky qui plagia Maurice Joly pour
fabriquer ce document secret… Admirons aussi la sérénité de M. Lambelin
qui maintient que le texte des
Protocoles
inspiré par Machiavel et Montesquieu [260] demeure « d’inspiration juive et maçonnique »…
Que deviennent en tout ceci l’esprit scientifique, la probité
intellectuelle la plus élémentaire, le moindre souci de vérité historique ?
Ce sont là valeurs incompatibles avec le service des puissances réactionnaires
aujourd’hui réduites, pour durer, à rétablir les mœurs et les façons de penser
des périodes noires du Moyen Âge ; réduites à fonder toute une doctrine
sur l’imposture la plus grossière.
Les Rescapés
24-25 décembre 1938
Henry Poulaille continue à bâtir son œuvre avec la
simplicité dans l’effort d’un maçon qui fait sa journée. Voici paru le deuxième
volume de
Pain de soldat
,
Les Rescapés
[261] – qui est en
réalité le quatrième volume du
Pain
quotidien
; et deux autres sont annoncés… Par bien des côtés, cette
œuvre échappe à la critique des critiques, membres, comme il sied, de la
Société des gens de lettres. Je suppose que lorsqu’ils en ouvrent un de
quatre-cents-pages-bien-tassées, c’est pour très vite le refermer avec un gros
mouvement d’humeur. Non, vrai ! Ce n’est pas de la littérature, ça ! C’est
même à désespérer de la littérature, ça ! C’est touffu, long, mouvementé, peu
poli, sans façon, négligé comme une foule de bas faubourg. C’est plein de
bonnes femmes qui vont aux provisions en se contant leurs malheurs, de prolos
qui parlent grève, embêtement, accidents et finissent par tomber d’un toit ou d’une
échelle, pour se casser les reins, ce qui n’arrive jamais, au grand jamais aux
personnages pleins de sentiments recherchés des Bons Auteurs. La vie se casse
en deux, tout à coup, l’an 1914, car le dieu de la guerre a, du bout de sa
botte, retourné la paisible fourmilière humaine. Alors ces pages se remplissent
d’une autre foule encore moins aimable, grouillante, bruyante, gueulante, souffrante,
combattante, mourante et qui survit malgré tout, incroyablement, celle des
soldats. Ils ne parlent pas du tout comme chez les Bons Auteurs. Ils ne pensent
même pas de grandes choses comme les poilus de Barbusse, leur mort est
épouvantablement banale comme l’était leur marche à la mort, comme le demeure
leur vie, quand ce sont des rescapés… À travers la vie de tous, une vie
persévère dans ces cohues, pareille à beaucoup d’autres, personnelle et proche
de l’anonymat, centrale dans l’œuvre et bien secondaire, la vie de Louis Magneux,
fils d’ouvrier, aide pharmacien, fantassin de II e classe, héros
malgré lui, rescapé sans savoir comment, qui n’a pas de veine, qui en a tout de
même puisqu’il y a de bons moments dans les pires moments, puisqu’il rencontre
l’amour, à l’arrière du feu, en sortant du feu, revient à Paris, se remet à
vivre avec une foule heureuse de vivre et en éprouve tout à coup un tel dégoût,
une telle colère, qu’il faut qu’il se mette tout de suite la tête sous le robinet
pour ne pas bousculer la société entière… Ah, vivement que ça change, vivement
la révolution ! – Le Rescapé a soif d’une fin de monde : le monde est
à recommencer, c’est évident.
Je ne sais pas si la forme de Poulaille est bonne ; s’il
n’y a pas trop de choses dans ces feuilles bondées de choses à crever, dont
quelques-unes pourtant paraissent superflues (mais n’y a-t-il pas dans la vie
bien des journées superflues ?) ; je ne sais pas si Poulaille ne
devrait pas travailler davantage sa matière, faire parfois du bien-écrit
consciencieux en bon ouvrier des lettres qu’il est quand il le veut bien, car, enfin,
et nous sommes d’accord là-dessus, on est bon écrivain comme on est bon
rempailleur de chaise. Un métier proprement exercé en vaut un autre ; il n’est
que celui d’homme de lettres pour salons bien-pensants qui, sauf exception, ne
vaille rien. Je me pose toutes ces questions à son propos et les lui ai posées
dans le privé. Mais s’il a voulu nous donner le
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