Retour à l'Ouest
fureurs fratricides, à la vaste
conjuration des profiteurs de catastrophes. Cette ferme décision, si elle ne
suffit pas à nous sauver du canon, nous dégage du moins de la complicité avec
les seigneurs de la guerre. Elle nous met à même de maintenir les valeurs humaines
menacées et massacrées, les seules qui puissent sinon empêcher le cataclysme, l’abréger
ou permettre un jour d’en tirer les éléments du monde nouveau. Impuissants en
présence du jeu des vieilles forces sociales dont le heurt peut entraîner la
guerre, une fidélité nous reste, et il en naît une grande confiance. Les
bourgeoisies ont fait la guerre : elles n’ont pas su faire la paix. Elles
n’ont su donner à l’humanité ni la sécurité, ni la justice, ni l’aisance
matérielle, bien que la civilisation industrielle mette tout cela à notre
portée. Elles gouvernent encore et ce sont elles qui conduisent de nouveau les
nations aux abîmes. Quoi qu’il advienne, le salut demeure pour nous dans la
fidélité à la cause des travailleurs qui n’ont pas voulu la première guerre
mondiale, n’ont pas rédigé, dicté, signé de funestes traités, n’ont forgé de
chaînes pour personne, mais continueront à vouloir de toute leur âme que cela
change, en attendant les jours inéluctables où ils pourront y travailler de
toutes leurs forces…
Remarques sur l’antisémitisme
12-13 novembre 1938
L’Allemagne hitlérienne expulse les Juifs qu’elle dépouille.
La Pologne refoule ceux que le III e Reich dirige sur ses frontières,
même quand ils sont en droit citoyens polonais. La Roumanie tolère les Juifs
après avoir édicté contre eux une législation draconienne. L’Italie les expulse
en masse et se prépare, s’il faut en croire certaines rumeurs, à en déporter un
grand nombre en Éthiopie. La Tchécoslovaquie, désormais vassale des puissances
fascistes qui l’ont démembrée sans combat, prend contre eux des mesures d’exclusion
et refuse l’asile à des Juifs tchèques de la veille, qui habitaient les régions
des Alpes sudètes. Les Arabes de Palestine se battent pour empêcher les Juifs
de se constituer en État. Dans tous les autres pays du monde les sévères
mesures prises contre l’immigration étrangère visent en premier lieu le peuple
persécuté et, au sein de ce peuple, les pauvres. L’URSS leur refuse l’asile. La
Grande-Bretagne accueille de préférence en Palestine les Juifs riches.
Ainsi recommence sous nos yeux, pour notre honte, un vieux
drame qui, du Moyen Âge au début des temps modernes, se renouvela déjà
plusieurs fois. Les Juifs furent chassés d’Angleterre en 1290. Chassés de
France à la fin du XIV e siècle. Chassés de diverses régions de l’Allemagne
un siècle plus tard. Chassés d’Espagne en 1492. Chassés du Portugal en 1496. Ils
avaient été souvent persécutés pendant les croisades. Ces expulsions eurent en
réalité pour objet des dépossessions. Dépourvus de territoire et partant d’État
les Juifs devaient être, sous la féodalité et dans les monarchies absolues, l’objet
d’une exploitation particulière. Refoulés vers certaines professions, obligés à
de fréquentes migrations, se voyant refuser l’usage des armes dans un monde où
celles-ci décidaient ils devinrent – et ce fut là leur revanche involontaire – plus
industrieux, plus habiles, plus cultivés, plus cosmopolites que leurs persécuteurs ;
ils s’adonnèrent au commerce, à l’usure, au crédit, c’est-à-dire à des professions
exigeant plus d’intelligence – et une plus large vision du monde – que celles
de la noblesse, des artisans ou des cultivateurs, et qui ont joué un rôle
essentiel dans le développement de la civilisation. Leurs concurrents eurent
toujours intérêt à les empêcher de s’assimiler d’abord pour se défendre contre
eux, ensuite pour les spolier. Sitôt que les communautés juives, maintenues en
marge de la société, s’étaient quelque peu enrichies, il devenait commode de
dévier vers elles les ressentiments des classes pauvres et de les déposséder. Les
causes historiques de l’isolement et de la persécution des Juifs sont dans la
plupart des cas aisées à discerner : ce sont des causes purement
économiques. Aucun sentiment de race ne s’y mêle : le concept même de race
remonte au XIX e siècle ; les Juifs, d’ailleurs, forment un
peuple de sang tout aussi mêlé que les autres. On invoque généralement contre
eux l’argument
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