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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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intérêts qui s’en font une arme, un
camouflage, une hypocrite justification, est brutalement foulée aux pieds par
ses profiteurs, et cela crève les yeux ; l’esprit chrétien s’est réfugié
dans la réforme de même que l’esprit socialiste de la révolution russe s’est
réfugié dans les diverses oppositions que le dictateur extermine. Le vrai drame
est dès lors celui des privilégiés, devenus conservateurs, aux prises avec les
révolutionnaires ; et l’orthodoxie doctrinale n’est plus, entre les mains
des conservateurs, qu’une manière de bourrage des crânes.
    Dans le mouvement socialiste, – et faisant abstraction de l’influence
exercée sur lui par les intérêts sociaux des couches différentes de la classe
ouvrière [299] – la pensée marxiste ne peut vivre qu’en conciliant sans cesse l’orthodoxie et
l’hérésie : le mérite de Laurat est de préciser enfin cette vue féconde
que nul théoricien n’avait encore, me semble-t-il, exprimée avec tant de
vigueur. « Le marxisme, écrit Laurat, ne peut rester lui-même qu’à la
condition d’une analyse permanente de la réalité qui évolue et le force à
évoluer à son tour. Un marxiste ne peut être orthodoxe qu’à la condition de
remettre sans cesse en question des vérités apparemment acquises, y comprises
les paroles d’un maître. Un marxiste est hérétique s’il se borne à répéter
machinalement les phrases, les conseils, les mots d’ordre de Karl Marx, c’est-à-dire
s’il est orthodoxe au sens où l’Église conçoit ce terme. Un marxiste ne peut
rester orthodoxe qu’au prix de continuelles « hérésies ». Mais cette
orthodoxie hérétique implique précisément la conservation du fondement du
marxisme, de la méthode dialectique. » On ne saurait mieux dire que la
pensée socialiste est à la fois fidélité scientifique et constante recherche
audacieuse, renouvellement d’elle-même ; intransigeance profonde et
liberté créatrice ; tolérance et rigueur… Et que tout ce qui tend à la
paralyser la trahit.

Le renvoi de Litvinov *
    13-14 mai 1939
    Quand la logique des faits ressortit davantage de la criminologie
que de la politique, il devient facile de prévoir… Dès septembre 1936, j’annonçais
la fin de toute la vieille génération bolchevik, qui avait pris le pouvoir en
1917 et vaincu dans la guerre civile. Le 10 avril 1937, j’écrivais dans
La
Révolution
prolétarienne
 : « La plupart des membres du Bureau
politique actuel et les quelques derniers survivants des anciennes équipes
bolcheviks, les Litvinov, Krestinski, Boubnov, Antonov-Osveenko, Kroupskaïa, sont
condamnés, eux aussi, ainsi ou autrement… » [300] Tous ceux que je
nommais occupaient encore de très hauts emplois dans l’Etat stalinien. Depuis, Krestinski,
membre du Collège des Affaires étrangères, a été fusillé ; Boubnov, commissaire
du peuple à l’Instruction publique, a disparu ; Antonov-Osveenko, relevé
de son poste de consul général à Barcelone et nommé commissaire du peuple à la
Justice, a disparu ; Kroupskaïa s’est éteinte dans la plus grande détresse
morale. Et voici Litvinov en cours de « liquidation », selon le terme
russe consacré.
    Il devait bien s’y attendre en considérant les vides que la
terreur creusait autour de lui. Il devait se sentir comme un dernier rescapé, rescapé
pas pour longtemps, évidemment. Presque tous ses collègues, amis, collaborateurs,
protégés, avaient, depuis dix-huit mois, disparu. Son suppléant, Krestinski, ancien
ambassadeur à Berlin, fusillé ; son suppléant, Sokolnikov, ancien
ambassadeur à Londres, 10 ans de réclusion ; son collaborateur, Stomoniakov,
ancien chef de la mission commerciale à Berlin, disparu ; Karakhan, ambassadeur
à Ankara, fusillé ; Rosenberg, ambassadeur à Madrid, disparu ; Davtian,
ambassadeur à Varsovie, disparu ; Ioureniev, ambassadeur à Berlin, disparu ;
Bogomolov, ambassadeur en Chine, disparu ; Beksadian, ministre à Budapest,
disparu ; Antonov-Osveenko, déjà nommé, disparu ; Oustinov, ministre
à Fallin, suicidé ; Asonus, ministre à Helsinki, disparu ; Barmine, chargé
d’affaires en Grèce, en fuite ; Boutenko, chargé d’affaires à Bucarest, en
fuite ; Raskolnikov, ambassadeur à Sofia, en fuite ; Zuckherman et
Stern, chefs de service au commissariat, fusillés… J’en passe. Depuis un
certain temps, la famille de Litvinov n’était plus autorisée à l’accompagner

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