Retour à l'Ouest
l’URSS. La directive de Staline reste
en vigueur. Le 1 er mai, le maréchal Vorochilov le proclame sur la
place Rouge : « Nous ne nous battrons que pour défendre la maison natale. »
Dans l’entre-temps, Hitler a parlé au Reichstag, sans chercher à l’URSS la
moindre querelle.
Le 3 mai, Litvinov est « démissionné »…
Une ténébreuse affaire
20-21 mai 1939
Deux crimes retentissants émouvaient l’opinion à la fin de l’été
1937. Le général Miller , vieil émigré
contre-révolutionnaire russe, le chef en titre de l’organisation militaire
blanche, disparaissait, mystérieusement enlevé en plein Paris ; le général
Skobline, son collaborateur, disparaissait en même temps, mais en qualité de
ravisseur [302] …
À peu de temps de là, le cadavre d’un homme, percé de balles, était trouvé sur
la chaussée non loin de Lausanne. Et cet assassiné, on l’identifiait aussitôt. Crime
signé. La victime était un agent secret du gouvernement soviétique à l’étranger, Ignace Reiss , qui venait de publier une déclaration de
rupture avec le stalinisme et de passer à l’opposition, pour protester contre l’infamie
des procès de Moscou [303] .
On sut, par la suite, que cette exécution ordonnée par Iejov ,
vraisemblablement sur l’ordre de Staline, avait été perpétrée par des agents du
Guépéou. On en arrêta plusieurs ; d’autres, couverts par des immunités
diplomatiques, ou à peu près telles, furent poliment priés de prendre sans
délai le train de Moscou – et ne se le firent point répéter. Je suivis d’assez
près cette effroyable affaire. Elle était en cours quand un ami de l’assassiné,
et que je connaissais de loin mais de longue date, rompit à son tour avec les
assassins, quitta les hautes fonctions qu’il occupait dans les services secrets
et demanda l’asile aux autorités françaises. Walter
Krivitski se fit connaître comme un général rouge ; c’était en réalité
le chef du service des renseignements soviétiques en Europe occidentale. Il
traversait une profonde crise morale : le massacre des hommes de sa
génération en URSS, l’assassinat de son meilleur ami à Lausanne, les doutes qui
l’assaillaient depuis longtemps, la crainte de faire tort à la patrie
soviétique, la crainte, enfin, d’être lui-même assassiné, le plongeait dans une
constante anxiété. Il écrivit, dans la presse socialiste russe, quelques
articles bouleversants sur les dessous des procès de Moscou, puis vécut à Paris
dans une retraite absolue ; il finit par obtenir un visa américain et prit
le bateau.
J’ai bien l’impression que l’homme est honnête, sincèrement
attaché à la cause de la révolution qu’il a servie – ou cru servir – toute sa
vie, dans une carrière où les risques sont quotidiens. Bien qu’il soit un peu
hasardeux de se prononcer ainsi sur la destinée d’un révolutionnaire qui a vécu,
des années durant, dans l’atmosphère démoralisante des services secrets du
régime stalinien, je pense, j’espère, qu’il demeure et demeurera fidèle à une
conviction socialiste plus profonde que cette corruption. J’ai le sentiment que
les articles qu’il vient de publier dans la presse américaine, pour soulager sa
conscience et nous informer sur une vérité terrible à connaître, mais qu’il
faut connaître, s’ils contiennent quelques erreurs de détail, s’ils ne disent
pas tout (un Krivitski n’ayant pas l’âme d’un traître ne pourra jamais tout
dire) sont dignes de foi [304] .
Deux de ces articles me sont parvenus : l’un traite de l’intervention stalinienne
dans les affaires de la République espagnole. Document grave sur lequel je
compte revenir. L’autre se rapporte aux raisons de l’enlèvement du général
Miller, obscure affaire qu’un récent procès d’assises, à Paris, n’a pas
éclaircie. En voici l’explication, sommairement résumée, d’après Krivitski.
Ce dernier habitait La Haye, avec un passeport autrichien, des
capitaux et la profession commode d’antiquaire. De son bureau, il dirigeait des
services de renseignements dont l’un s’occupait du III e Reich. Un
haut fonctionnaire soviétique, en mission à Paris, lui demanda de détacher pour
quelque temps en France deux agents tout à fait sûrs, susceptibles de passer
pour des officiers allemands… Un peu plus tard, se trouvant à Moscou, dans les
bureaux de la police politique, Krivitski rencontrait un des chefs d’un
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