Retour à l'Ouest
politiques, puis par la conquête
semi-occulte de certains rouages de l’État et du commandement, loin d’en
diminuer la nocivité, l’augmente : car la dictature occulte d’un parti sur
le gouvernement républicain n’avait pas, quant à son efficience générale, les
avantages d’une dictature franche. Luis Araquistain, posant d’autres questions,
réclame la constitution d’une commission d’enquête « devant laquelle
devraient rendre compte tous ceux qui ont administré les fonds de la République
espagnole »… L’ambassadeur de la République à Washington, Fernando
de los Ríos , autre socialiste connu, a soutenu cette proposition…
Il est à souhaiter que ces aspects du drame espagnol soient
connus. Le mouvement ouvrier doit connaître jusqu’où peuvent mener certaines
méthodes politiques, mises au service d’un « impérialisme de parti »
tout à fait dépourvu, en réalité, d’esprit prolétarien. Car l’Histoire continue.
Hérésie et orthodoxie *
6-7 mai 1939
J’espère revenir ici même sur le dernier livre de Lucien Laurat ,
Le
Marxisme en faillite ?
[298] Livre tout à fait remarquable par la clarté de l’exposé et la densité de la
matière traitée ; qui apprend beaucoup, qui incite à penser, qui, de la
défense du socialisme scientifique passe avec sûreté, intelligemment, à l’offensive
contre ses détracteurs… Sur plusieurs points, et d’importance, ma pensée diffère
pourtant profondément de celle de Laurat, qu’il s’agisse de sa critique du
bolchevisme ou de ses conclusions générales ; mais de semblables
divergences de vues – surtout entre vieux amis – sont plutôt faites pour
enrichir le patrimoine collectif du mouvement ouvrier que pour diviser
réellement ses militants.
Je ne veux aujourd’hui que signaler au lecteur une page
féconde de ce livre, page qui, précédemment publiée dans
Bilans
m’avait échappée jusqu’ici – et
je le regrette. Quiconque connaît l’histoire du socialisme, quiconque a tant
soit peu participé à ses luttes, sait que le socialisme fut toujours partagé
entre une volonté d’orthodoxie, c’est-à-dire de fidélité rigoureuse à sa
doctrine initiale, et une volonté de renouvellement, c’est-à-dire de révision, de
critique, d’évasion du passé, de rajeunissement doctrinal… Les marxistes « orthodoxes »
n’ont jamais ménagé l’excommunication aux hérétiques ; il s’en est même
suivi bien des déchirements, les uns utiles, les autres funestes. Nous avons vu
dans le drame immense de la révolution russe l’orthodoxie couvrir de son voile
sacré tous les étouffements, toutes les répressions. Les oppositions, d’ailleurs,
s’en réclamaient aussi, car il est de règle que les hérétiques se considèrent
comme les seuls vrais orthodoxes, que cette conviction les affermisse dans leur
résistance, et qu’ils prononcent à leur tour, du fond des cachots de l’inquisition,
l’excommunication contre les puissants et aussi contre leurs propres hérétiques…
Ainsi vont les choses. L’Église romaine excommunie Luther ; et Luther, au
nom des Évangiles, excommunie toute l’Église romaine : et c’est, dans les
consciences, le reflet de la grande révolution sociale préparée par la
Renaissance, qui ouvre l’histoire des temps modernes. Tout près de nous, en
Russie, Lénine, Zinoniev, Trotski jettent l’anathème au socialisme réformiste
des pays d’Occident, au nom du marxisme révolutionnaire, qu’ils entendent
ramener à ses sources… Puis, les continuateurs de Lénine sont persécutés comme
hérétiques par le parti de Lénine tombé aux mains de fonctionnaires qui s’affirment,
bien entendu, les gardiens de la véritable orthodoxie… A leur tour, les
trotskistes persécutés ont beau jeu à dénoncer l’hérésie bureaucratique du « socialisme
dans un seul pays » soutenue par le bâillon, les camps de concentration
les plus vastes de l’univers, le culte du Chef, les exécutions en masses… À
leur tour, les mêmes persécutés combattent âprement dans leur propre sein ou
parmi leurs compagnons de route, ce qu’ils appellent les déviations
idéologiques… Dans ces cas historiques, la lutte des idées ne fait qu’exprimer,
très indirectement, de vastes conflits d’intérêts : des luttes de classes.
Le problème des rapports de l’orthodoxie avec l’hérésie est tout à fait dépassé ;
la doctrine d’hier, dénaturée par de nouveaux
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