Retour à l'Ouest
dont la gravité se fera sans doute sentir chaque jour
davantage dans les luttes qui viennent. L’article de Dimitrov contenait
soixante-dix fois le nom du Chef génial et il tenait sa place dans un numéro de
douze pages dont 71 colonnes sur 72 étaient consacrées à la gloire du Chef. Mais
là n’est pas son intérêt. Écrit pour servir de directive à la propagande « communiste »
internationale, il constitue une déclaration de guerre à outrance à la
social-démocratie, au socialisme international. La thèse que nous y retrouvons
nous est familière, à une rectification verbale près. De 1930 à 1933, les
partis staliniens consacrèrent toutes leurs forces à combattre les partis
socialistes qu’ils qualifiaient couramment de « social-fascistes ». Le
qualificatif est aujourd’hui tombé pour une raison essentielle : que l’on
chercherait en vain dans toute la presse soviétique une seule critique, une
seule note hostile à l’égard du fascisme ou du nazisme. L’antifascisme n’existe
plus en URSS ! Aucune allusion n’y est permise. Les biographies
officielles de Staline, publiées par l’Institut Marx-Engels-Lénine – grands
morts souffletés par le mensonge sans fin –, ne mentionnent pas même la guerre
civile des deux Espagnes. À l’antifascisme l’agitation officielle substitue l’antisocialisme.
Il y a mieux, ou pis, comme l’on voudra. La propagande
officielle, quand elle emploie encore certains mots du vocabulaire des
dernières années, leur confère audacieusement un sens nouveau. Les « États
agresseurs », ce sont désormais, pour la presse soviétique, l’Angleterre
et la France… Le 1 er janvier, la
Pravda
et les
Izvestia
publiaient
des éditoriaux de fin d’année dénonçant en première page ces « impérialismes
agresseurs » et les partis socialistes leurs complices : en quatrième
ou troisième page l’on y pouvait lire un long message de fin d’année d’Hitler
dénonçant en termes analogues « les ploutocraties et leur complice la
social-démocratie pourrie ». Nous voici donc en présence d’une propagande
orchestrée, stalinienne et hitlérienne, qui va jusqu’à employer les mêmes mots.
Dimitrov et Gœring s’affrontaient au procès de Leipzig et Dimitrov dénonçait l’incendiaire
du Reichstag ; ils concertent maintenant leurs déclarations et Gœring
approuve les incendiaires de la Finlande, et Dimitrov approuve les incendiaires
de la Pologne.
Pendant des années, la presse soviétique a fait une large
place aux campagnes contre l’antisémitisme nazi. Elle n’y fait plus la moindre
allusion. Par centaines et milliers, tous les jours, des Juifs échappés aux
massacres se présentent aux nouvelles frontières de l’URSS, en Ukraine et
Russie-Blanche. Ceux qui passent racontent les dévastations systématiques, la
faim, les épidémies, les exécutions, les suicides, l’extermination persévérante
de leur peuple. Pas un mot là-dessus ! Cette complicité du régime
stalinien dans l’un des plus immondes crimes du temps présent est tellement
odieuse et flagrante qu’elle a fini par émouvoir l’opinion soviétique, réduite
pourtant à un silence total, et que le Bureau politique a cru devoir rassurer
des populations qui craignaient visiblement que le rapprochement idéologique
avec le nazisme ne conduise l’URSS à l’antisémitisme. Des thèses, signées d’un
professeur inconnu mais certainement commandées par Staline, ont été publiées
sur « la doctrine bolchevique de la nation ». Fumeuses à souhait, elles
ne contiennent pas une allusion à l’antisémitisme, mais le lecteur attentif y
découvre à la fin que la Constitution soviétique garantit les mêmes droits au
Tartare, à l’Ukrainien, au Géorgien, au Russe et à l’Israélite… Ne doutons pas
qu’elles aient été publiées pour ce seul mot rassurant – qui vaut du reste
exactement ce que valent toutes les promesses d’une Constitution qui n’a rien
empêché, rien garanti jusqu’ici : pas même la vie de ses auteurs…
Il ne faudrait pas sous-estimer l’importance des nouvelles
adaptations de l’idéologie stalinienne à la collaboration avec le nazisme. C’est
là un grand fait, significatif, très probablement durable, et qui portera loin.
Il accentuera fortement la fascination des partis dits communistes ; il
atteste que, « scellant dans le sang » des peuples – selon ses
propres paroles – son amitié avec Hitler, Staline
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