Retour à l'Ouest
le
gouvernement de l’URSS feint d’ignorer ce qu’il fait lui-même et répond à la
Société des Nations qu’il ne se passe rien, que la paix n’a jamais été mieux
assurée dans cette région de l’Europe : à preuve le traité d’amitié signé
avec M. Kuusinen. Staline entend tromper de même, et c’est beaucoup plus
fou, son propre peuple. Pendant que l’artillerie tonne à trente kilomètres de
Leningrad, le numéro de la
Pravda
du
21 décembre paraît sur douze pages avec 72 colonnes de textes dont 71 sont
consacrées à la louange du Chef et une seule aux événements, à ce qui se fait
dans le vaste monde : et dans cette dernière colonne un sobre communiqué
de six lignes dit : « Canonnades et escarmouches en Finlande… »
Les jours suivants apportent un flot d’étonnantes nouvelles à l’envahisseur
partout repoussé, la petite Finlande tenant tête au colosse, les colonnes
russes reculant, perdant leur matériel dans la neige, piétinant sur place. Enfin,
paraît un communiqué officiel de l’armée rouge qui reconnaît l’échec en
cherchant à l’expliquer avec une incroyable maladresse : la ligne
Manherheim y est longuement comparée à la ligne Siegfried. Mais les revers se
suivent, nous apprenons la défaite infligée à la 163 e division russe.
L’explication de ces revers, nous croyons bien la connaître.
L’état-major russe tenait sans nul doute à offrir au Secrétaire général du
Bureau politique, pour son soixantième anniversaire, un communiqué de victoire.
Il engagea pour cette raison des opérations hâtives, au cœur de l’hiver, dans
des contrées sans routes, les colonnes de l’envahisseur ne pouvant compter pour
leur ravitaillement que sur une seule voie ferrée, d’ailleurs éloignée, celle
de Mourmansk. C’était, en présence d’un adversaire résolu à résister, courir à
un échec et qui devait tourner au désastre, les envahisseurs, s’ils ne parvenaient
pas à s’emparer des rares agglomérations, n’ayant aucun moyen de se soustraire
à la fureur de l’hiver. Les Russes, repoussés une première fois, reprirent l’offensive
dans les mêmes conditions et leur 163 e division se fit détruire, d’après
des relations qui paraissent dignes de foi. La seconde tentative s’explique par
le désir de réparer un échec. Car le commandement de l’armée soviétique, privé
des capacités par les épurations qui ont fait tomber les meilleures têtes par
milliers, est formé d’hommes affolés par leur sentiment de responsabilité
devant le Chef. Quand nous lisons que les Finlandais ont détruit des tanks et
pris des canons, cela signifie que, par surcroît, les officiers supérieurs
commandant les unités battues vont être traduits devant d’impitoyables
tribunaux secrets et, pour la plupart, exécutés. La psychose de terreur ainsi
créée dans l’armée soviétique diminue certainement la valeur technique des
cadres sortis très amoindris de trois années d’épurations sanglantes.
L’hiver, la nature du pays, les fortifications existantes, le
moral d’un peuple qui défend sa liberté, d’une part ; de l’autre, l’extrême
difficulté des communications, les insuffisances d’un état-major décimé par le
bourreau, les psychoses d’un régime totalitaire et le gâchis qu’elles
provoquent, telles sont les principales raisons de l’échec essuyé par Staline
au moment précis où les gazettes révélaient en lui « le plus grand
stratège de tous les temps… » Cet échec est sérieux, grave même ; mais
il ne remédie pas à une disproportion de forces vraiment tragique.
L’école du cynisme *
20-21 janvier 1940
Staline a fait répondre aux compliments que M. von
Ribbentrop lui avait adressés à l’occasion de son soixantième anniversaire, le
21 décembre, que « l’amitié des peuples russe et allemand est scellée dans
le sang… » La phrase est heureuse parce qu’elle est juste, bien qu’il ne s’agisse
pas des peuples, mais de leurs pires ennemis. Les deux bureaucraties totalitaires
ont fait amitié dans le sang. Dans quel sang ? Celui de leurs propres
peuples d’abord, qui coule dans les camps de concentration et dans les
tranchées, celui des peuples asservis, celui des hommes demeurés fidèles à la
cause de l’homme, antistaliniens, socialistes de toutes nuances… Et ceci nous
fait songer, une fois de plus, aux procès de Moscou. T’en souviens-tu, lecteur ?
Te souviens-tu de tous ces
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