Retour à l'Ouest
frénétique, ancien chômeur, ancien soldat, ancien agitateur payé des
bandes réactionnaires, déçu du socialisme qui l’attire cependant puisqu’il se
veut national-socialiste, offre une dernière carte aux détenteurs de la
puissance économique. Ce sont eux, d’ailleurs, qui l’ont fait. Sans eux, Hitler
serait-il jamais sorti de la pénombre où végètent les aventuriers des
révolutions et des contre-révolutions manquées ? Fritz Thyssen, un des
rois du fer et de l’acier, le Fritz Thyssen qui déclarait le 7 février 1924 à
un rédacteur du
Journal des débats :
« Pour nous la démocratie n’est rien ! » – subventionnait Hitler
depuis longtemps, Emil Kirdof, du trust métallurgique de la « Gelsenkirchen »
finançait, avec plus de fidélité encore, le mouvement nazi. Ce n’étaient pas
les seuls… La politique des magnats de la métallurgie allemande explique Hitler
bien davantage que les Voix subconscientes ou l’infra-humain.
Pour jouer ce rôle de
condottiere
de la rédaction dans un régime qui s’effondrait, il fallait évidemment un
agitateur capable d’action au sens le plus élémentaire, le moins rationnel, le
moins humain ; il fallait un visionnaire, un passionné, un inintellectuel
chargé de cette sorte d’hystérie sociale qui émanait des foules poussées au
désespoir. Ici notre conclusion rejoint celle de M. René Gillouin et, la
mystique de la phrase écartée, celle du professeur Jung. Mais en tout ceci, la
psychologie du personnage n’a qu’une importance dérisoire en comparaison avec
celle des facteurs historiques-sociaux.
Le courage d’un homme
14 février 1940
J’ai déjà parlé, dans ces colonnes [353] , sous un titre
presque semblable à celui-ci, du beau livre de l’ amiral Byrd ,
Pôle
Sud
[354] .
Le lecteur me permettra de revenir sur ce sujet dont l’actualité magnifique
dépasse de haut les récits des invasions, des massacres et du demi-délire des
dictateurs… Je ferme le livre le plus réconfortant qui soit peut-être aujourd’hui,
un livre qui est le sobre récit d’un acte :
Seul
, par l’amiral Richard Byrd [355] . La traduction
française vient d’en paraître chez Grasset, au moment où l’auteur survolait de
nouveau les solitudes glacées de l’Antarctique, pour ajouter sur les cartes de
nouvelles montagnes baignées d’une lumière prodigieuse.
Byrd, chef d’une expédition américaine au pôle Sud, décidait
en 1934 d’établir une station d’observations météorologiques à l’intérieur, dans
les glaces, à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau du campement de Petite
Amérique. Mais qui envoyer là, pour y passer la longue nuit polaire dans un
isolement total ? Un homme seul pourrait devenir fou ; deux hommes
finiraient par s’exaspérer l’un l’autre, se communiquer leur cafard, souffrir
davantage qu’un homme seul. Byrd, pour résoudre ces problèmes de responsabilité,
y alla lui-même, nous offrant ainsi, à une époque où les chefs inhumains
plastronnent sur les estrades, l’exemple du chef qui, par respect des hommes, par
conscience de sa responsabilité, prend sur lui la plus lourde tâche.
Avant de partir, il rédigea pour ceux qu’il chargeait du
commandement de l’expédition en son absence des instructions détaillées et un
communiqué général. « C’était, dit-il, un simple appel au travail, au
ménagement des vivres, au respect des mesures de sûreté, à la discipline »,
qui se terminait par une déclaration d’égalité : « Il n’existe pas
ici de distinctions de classe comme dans le monde civilisé… » (Pas
flatteur, ce rappel, pour le monde civilisé…) Et, comme il partait, le
cuisinier de l’expédition lui cria gaiement : « Souvenez-vous, amiral,
pas de distinction de classe à la base avancée ! » On note avec
plaisir ces traits d’esprit socialistes chez d’admirables Américains – et peu
nous importe qu’ils n’y mettent point le mot ! – au moment où tant de
détraqués de la décadence européenne s’enivrent de hiérarchie. Ces grands
travailleurs, mécaniciens, charpentiers, aviateurs, savants, officiers, que la
civilisation américaine jette à la conquête du continent antarctique, armés d’une
technique supérieure, ne sont ni des aventuriers ni des conquérants de l’or :
ils se sentent des égaux.
Richard Byrd lui-même fait preuve d’une incontestable
grandeur personnelle. C’est l’organisateur et le cerveau de ces
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