Retour à l'Ouest
travailleurs. Et
pourtant : « Imaginez une Italie où trente-six millions d’individus
devraient penser tous de la même façon, comme si leurs cerveaux étaient faits
sur le même moule, et vous aurez une maison de fous ou plutôt un royaume d’ennui
suprême et d’imbécillité. » Ces lignes, aujourd’hui pleines de saveur, Mussolini
les écrivit en 1912…
Sur Kamal Atatürk, dictateur de la République turque,
M. Gunther est plus sobre de renseignements. Ceux qu’il nous donne
suffisent. « En 1926, à la suite d’un vague attentat contre sa vie, il
pendit tous les chefs de l’opposition. Parmi ceux qui furent condamnés à mort
et exécutés, se trouvaient le colonel Arif, qui avait été son compagnon d’armes
pendant la campagne de Grèce, et Djarid Bey, la meilleure intelligence
financière de Turquie. Kamal donna une soirée au champagne dans sa ferme isolée
de Chankoya, près d’Ankara, pour fêter l’événement, et y invita tous les
diplomates. Rentrant chez eux à l’aube, ceux-ci purent voir se balancer les
pendus sur la place de la ville… »
M. Gunther termine son livre sur le portrait d’un autre
dictateur. Mais ici, il n’est pas à jour et j’aime mieux passer sur une trop récente
tragédie.
Pilotes ? Vraiment la comparaison fait outrage aux
marins. Médiocres ou capables, les dictateurs sont des aventuriers à poigne que
les classes dominantes appellent à leur service pour réprimer, dans les époques
troubles, la poussée des majorités mécontentes. Ils procurent quelque répit à
des régimes condamnés. Peuvent-ils changer le cours de l’histoire ? Jusqu’ici,
depuis qu’il existe des annales, toutes les dictatures ont fini par s’effondrer,
au milieu de terribles convulsions sociales. Mais c’est là un autre sujet de
réflexion.
Mineurs des Asturies *
17-18 octobre 1936
Les journaux espagnols m’apportent mieux, infiniment, qu’une
grande presse trop aveuglée par ses sympathies réactionnaires, un peu de l’air
qu’on respire là-bas. Un air brûlant, mêlé de fumée et de vapeurs sulfureuses. Malgré
la pluie et le vent violent qui souffle de l’Atlantique, toute la journée du 10,
les mineurs ont continué, inlassablement, la conquête de leur capitale, Oviedo.
Beaucoup moins bien armés que leurs adversaires, les Blancs du colonel Aranda, ils
ont inventé une arme nouvelle : la cartouche de dynamite, empruntée à la
mine, dont on allume la mèche avec un cigarillo. Alors, ils se battent en
fumant. Le communiqué du 10 énumère les rues conquises. Le réservoir d’eau dont
les fascistes s’étaient fait une citadelle qu’ils croyaient imprenable est pris
par un mouvement tournant. Trois mille personnes appartenant à la population
ouvrière de la ville sont libérées ce jour-là. À la nuit tombée le combat continue.
Les camions blindés s’avancent lentement dans la pénombre, accompagnés des
bombardiers, le cigarillo aux lèvres. Il s’agit d’en finir avec les derniers
refuges de la sédition réactionnaire pour donner au peuple espagnol, après la
Guadarrama, Monte-Aragon, Estrecho-Quinto, une autre grande victoire, libérer
la région minière, libérer pour l’offensive l’armée des mineurs.
Non, ce n’est plus Germinal. Ce qui germait douloureusement
dans les entrailles de la terre, lève enfin. Quel Zola écrira demain l’épopée
des Asturies ? Quels hommes de notre temps auront déployé plus d’énergie
au travail et au combat, plus d’esprit de sacrifice, plus de capacités d’organisation
que les mineurs asturiens ? Et ceci, déjà, est pour tous les mineurs du
monde, pour toute la classe ouvrière, une étonnante victoire. Ces travailleurs,
si puissants et tenaces dans la guerre civile, de quels prodiges ne seront-ils
pas capables un jour dans le travail et la paix ?
« La classe ouvrière des Asturies représente la
maturité du prolétariat ibérique », écrit le fusillé Joaquín Maurín [72] . Le Syndicat des
Mineurs asturiens fut fondé en 1910. En vingt-cinq ans, les mineurs socialistes
ont couvert le pays de Maisons du Peuple, d’Universités populaires (les
Ateneos
), de coopératives, de sociétés
musicales et sportives. Ils ont fondé plusieurs journaux dont un grand
quotidien. Cette œuvre constructive commencée au lendemain de l’exécution de
Francisco Ferrer (octobre 1909), sous le régime réactionnaire de Maura, ils l’ont
poursuivie malgré la misère, car c’est un pays de
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