Retour à l'Ouest
de
concentration.) On parlait à la hâte, à un palier d’escalier en marbre, dans un
tambour de porte, de complots, de noirs complots, du travail des blancs à l’arrière.
Bakaev rayonnait quand il pouvait répondre à quelque intercesseur qui le
guettait à la descente de l’auto pour sauver un officier enfermé à Pierre et
Paul : « Bon, j’ai vu le dossier, vous pouvez rassurer sa femme… »
Ces trois-là, des chefs, ont été récemment fusillés. Des
marins, survivants de ces combats, j’en ai suivi plusieurs à travers la vie, qui
luttent encore, mais dans des prisons… On dit des révolutions qu’elles sont de
grandes mangeuses d’hommes. Oui, quand elles sont vaincues. Tous ces
combattants de 1917-19-20, la guerre civile, qui nous coûta assez cher sans
cela, les avait épargnés. Il n’eût fallu, pour qu’ils puissent vivre, travailler,
servir encore, qu’un peu de réelle démocratie ouvrière.
Le sang des meilleurs
4-5 octobre 1936
Des journaux avaient annoncé l’exécution à Madrid, par les « Rouges »,
du dramaturge espagnol Benavente . Il se porte bien, dans
le midi de la France. Ces journaux n’ont pas annoncé, par contre, la fin du
jeune poète Federico García Lorca, fusillé en Andalousie par les rebelles. Cette
nouvelle-ci, lecteur, ne sera pas démentie… Hélas !
Federico García Lorca… Voici, dans les journaux espagnols le
portrait d’un gars râblé, au large visage basané, éclairé de très grands yeux
noirs. Un de ces êtres de vigueur et de sentiment tragique que produisent les
vieilles terres brûlées d’Ibérie, en mêlant à travers les siècles des races
ardentes. Pas un homme de lettres, au sens frelaté du mot, mais un homme de
grand air qui comprenait les pâtres de son pays et maniait les rythmes des
romanceros que l’on chantonne le soir, près des fontaines. Romance de la
Guardia Civil
d’Espagne [66] … Ne cherchez pas
dans ces vers la romance élégiaque ou sentimentale : le poète assassiné a
payé de sa vie sa fidélité à une époque qui veut des âmes viriles. Mais voyez, dans
des strophes rythmées comme le trot des chevaux, fuir les jeunes filles…
poursuivies par leurs
Tresses
à travers l’air étoilé
de fulgurantes roses noires…
Les jeunes filles de Grenade fuient devant la
Guardia Civil
. Elles pressentent
peut-être que leur poète sera tué…
Ô Cité des Gitanes !
La Guardia Civil s’enfonce
Dans un tunnel de silence
pendant que te cernent les larmes.
Des jeux de lune et de sable
te réveilleront sous mon front…
Plus rien ne se réveillera sous le front de Federico García
Lorca, poète qui voulut vivre avec son peuple et pour son peuple. Ce front-là
on l’a fendu à coups de crosses ou perforé d’une excellente balle pointue
fabriquée dans les arsenaux de Milan. Le général Franco, qui avait fait le
serment de servir la République, ne s’est-il pas déclaré prêt à massacrer la
moitié du peuple espagnol ? Espagne cernée de larmes, le voici à l’œuvre. Mais
ce n’est pas fini.
Fusillé le poète, fusillé le tribun…
À moins de quarante ans, Joaquín Maurín avait en Catalogne
et aux Cortès une situation morale unique. Il était le tribun de Barcelone. Sa
voix rassemblait dix mille ouvriers qui reconnaissaient en lui leur âme et leur
passion. Politique habile, révolutionnaire trempé, tous ceux qui le
connaissaient, même sans partager ses vues, savent qu’en le frappant on a
frappé à la tête de la classe ouvrière d’Espagne. Il a fallu, pour qu’on y
réussisse, qu’une horrible malchance s’en mêlât. Joaquín Maurín fut surpris par
la rébellion fasciste dans une province éloignée de Barcelone. Les
circonstances de sa mort sont encore obscures [67] .
On espéra, pendant un long moment, qu’il se cachait ; la rumeur se
répandit qu’il se battait avec une poignée de partisans dans la montagne. Puis
sa femme reçut une lettre d’adieu, écrite peu de moments avant l’exécution. Il
n’a pas été tué en combattant, mais fait prisonnier et exécuté parce qu’il
était le Tribun ! Cette perte-là ne semble pas réparable à l’heure du
danger. Il faudra, pour panser toutes ces plaies, la victoire des masses
populaires qui fera surgir des hommes nouveaux et gardera, puissamment vivante,
la mémoire des morts.
Je rencontrai en 1921, à Moscou, dans la délégation
espagnole venue assister au III e congrès de l’Internationale
communiste, un grand jeune
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