Retour à l'Ouest
homme maigre, aux épaules carrées, au visage
volontaire, un peu dur, de ces Espagnols du Nord qui ont dans les veines du
sang de montagnards. Nul n’était plus allègrement jeune, plus réfléchi pourtant,
plus dévoué déjà. L’instituteur Joaquín Maurín fut un des vrais fondateurs du
parti communiste espagnol. La dictature de Primo de Rivera l’enferma à
Montjuich. Il passa quatre ans dans cette forteresse, quatre ans pendant
lesquels, nous qui l’aimions, nous tremblâmes souvent pour sa vie. Déjà les
pistoleros
– ces tueurs à gages du
patronat fasciste de Barcelone – l’avaient manqué auparavant. Il tenta et
réussit une évasion presque invraisemblable, mais fit une chute dans les roches,
se cassa une jambe, fut repris… Rendu plus tard à la liberté par la chute des
généraux, il ne tarda pas à étouffer dans l’Internationale communiste. Il en
sortit pour former son propre parti qui fut le Partido obrero de unificación
marxista (parti ouvrier d’unification marxiste), ce POUM redoutable aux ennemis
du peuple, dont les colonnes motorisées sont allées au secours de Madrid et à l’attaque
de Huesca [68] .
Il acquit bientôt une influence unique sur les travailleurs de Barcelone. Sa
parole était ardente et spirituelle, sa pensée résolue. Il ne se fit pas d’illusions
sur la République libérale, à l’abri de laquelle des généraux, des jésuites, des
banquiers, des agents de puissances étrangères préparaient leur mauvais coup. S’il
est un livre lucide sur les choses d’Espagne, c’est bien le sien, qui fait la
somme d’années de luttes et d’expériences sous ce titre clair :
Vers la seconde révolution
… [69] Ce livre parut en
1935. « Ces pages, disait Joaquín Maurín dans sa préface, écrites à la
lueur de l’incendie d’octobre, tentent d’apporter une contribution à l’héroïque
effort accompli par notre mouvement ouvrier pour marcher audacieusement vers un
monde meilleur, vers une organisation sociale plus rationnelle, plus juste et
plus humaine… » Et ailleurs : « Le dilemme historique : fascisme
ou socialisme, se décidera finalement en de rudes combats dont ceux d’octobre 1935
n’ont été que les premiers et non les plus importants… »
« Vous êtes un ennemi du genre humain et je vais vous
faire fusiller », déclarait un officier versaillais au docteur Millière
qui avait soigné les blessés pendant la Commune de Paris.
Vouloir une société « plus juste, plus humaine et plus
rationnelle », ce crime, aujourd’hui comme en 1871, mérite la mort aux
yeux des dictateurs militaires qui entendent que les pauvres restent pauvres, les
riches riches et que les États continuent à se tendre les uns les autres des
guets-apens. Et versant à flots le sang des ouvriers, des paysans, des poètes
et des tribuns, ils appellent ce sanglant désordre le rétablissement de l’ordre.
Ils peuvent causer des souffrances sans nombre, ils se trompent sur un point
capital : l’histoire est un fleuve dont nulle force ne saurait faire
remonter les flots vers leur source… Ce qui est semé germera.
Défense du pilote *
10-11 octobre 1936
Un pilote est toujours un homme infiniment utile et que l’on
sent, du premier coup d’œil, très estimable. Au moment où la navigation devient
difficile, qu’il s’agisse de l’entrée dans un port ou de la traversée d’un
fjord, le bateau stoppe et les passagers voient arriver une vedette… Trente
secondes d’attente et paraît sur le pont un marin, généralement d’âge mûr, hâlé
et corpulent, qui a presque toujours une bonne tête sérieuse, l’air un peu
bourru. Le pilote qu’on voit dans les films est assez ressemblant : le
métier forme l’homme. Métier de rude grand air, d’attention concentrée ; métier
de chef sans autorité, dont les ordres n’ont nul besoin d’être appuyés d’une
menace, puisqu’ils sont indiscutables. Métier bourru, car il faut bien que l’homme
s’en prenne en son for intérieur aux vents, aux marées, aux brouillards, aux
froids, aux pluies qu’il doit vaincre un peu chaque jour… Le pilote nous offre
l’image de cette autorité future des sociétés libres qui ne pourra plus, en
bonne justice, s’appeler l’autorité, car elle ne sera faite que de sagesse, de
savoir, d’organisation et de consentement unanime. Le mot discipline, lui-même,
vous voyez, finit par ne m’être plus nécessaire. Et de même qu’un pilote mène
toujours
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