Retour à l'Ouest
faire encercler dans un coin de la ville avec les derniers
combattants du colonel Aranda. Ajoutons que l’intervention des avions Caproni a
seule empêché les milices ouvrières de s’emparer des Baléares. Cette résistance,
ces attaques, ces faits d’armes sont dus à des troupes improvisées, formées d’ouvriers
et de paysans armés à la hâte, mal commandées par des hommes dépourvus d’instruction
militaire et manquant, au surplus, d’armes.
Essayons donc de dresser un bilan.
Les généraux fascistes ont la supériorité militaire ; elle
leur donne l’initiative sur certains points, notamment dans la plaine de
Castille, sur Madrid qu’ils menacent. Ils sont puissamment soutenus par l’intervention
technique des pays fascistes. Mais ils ont contre eux la population laborieuse
des régions qu’ils occupent ; ils manquent de vivres ; ils manquent d’argent.
On les voit réquisitionner jusqu’aux bijoux. Une partie de leurs troupes, les
réguliers, passera au peuple à la première possibilité.
L’Espagne antifasciste tient les régions les plus
industrielles et les plus fertiles. La crise alimentaire ne s’y fait pas encore
sentir. Elle dispose du trésor de l’État, ce qui lui assure une assise
financière, des crédits, la possibilité de se ravitailler à l’étranger. Elle a
les plus grands ports et sa flotte détient la supériorité sur mer. Elle a le
peuple, la sympathie du gros des populations : le nombre des combattants, dans
des proportions décisives. Elle pourrait mettre sur pied trois, quatre, cinq
fois plus d’hommes que ses agresseurs. Ce n’est qu’une question de temps, d’organisation
et d’armement. Tout l’apprentissage de la guerre, elle doit le faire ; de
même qu’il a fallu adapter une partie des usines de Catalogne à la fabrication
des armes et des munitions. Le temps travaille pour elle, car l’organisation
exige du temps. Il s’agit de transformer les milices en une armée véritable, de
leur donner un commandement unique, de se battre intelligemment. Le courage
seul ne suffit pas à donner des victoires ; encore faut-il savoir où et
quand frapper.
En ce sens, il faut dire que les nouvelles de chaque jour
inspirent une confiance raisonnée. De fait, l’unité d’organisations ouvrières
naguère très divisées se réalise avec le minimum de tiraillements, et l’on voit
même les syndicalistes anarchistes faire preuve d’un sens politique parfois
étonnant. L’organisation de la production à l’arrière fonctionne irréprochablement ;
la vie s’est normalisée. Les quelques excès du début ont cessé, tandis que
commençait l’épuration systématique, légale et révolutionnaire à la fois, des
cités. La création d’un commissariat général à la guerre a enfin donné une tête
aux masses qui défendent Madrid. Pour vaincre, surmonter le chaos. Canalisée et
organisée, la force populaire s’imposera à coup sûr.
Madrid demeure menacée, mais c’est dans une mesure peut-être
bien moindre que la seule stratégie ne pourrait le laisser croire. La
supériorité technique des factieux est-elle suffisante pour qu’ils puissent
infliger sous les murs de la capitale une assez prompte défaite aux milices ?
Tout est là, car chaque jour est un pas de fait dans la voie de l’organisation
de la défense. Quelques semaines encore et cette défense ne pourra plus être
brisée ; un peu de temps encore et l’initiative des opérations passera aux
milices. La chute de Madrid, au reste, ne serait nullement décisive ; et
les vainqueurs verraient se poser devant eux un nouveau problème : comment
nourrir la capitale ?
La guerre civile semble devoir être longue ; il n’est
guère probable que le peuple espagnol puisse encore faire l’économie d’une
campagne d’hiver. Mais tout bien pesé, il n’est pas contestable que les masses
laborieuses aient dans cette lutte les plus grandes chances de victoire.
P. S. Un homme à sauver. Les journaux espagnols confirment l’arrestation
par les rebelles du pacifiste allemand Heinz Kraschutzky, ancien officier de
marine démissionnaire en 1918, qui fut, depuis, un des collaborateurs d’ Ossietzky et de von Gerlach , travailla
avec eux à faire connaître les armements clandestins de l’Allemagne et publia
un hebdomadaire pacifiste,
Das andere
Deutschland
. Réfugié aux Baléares, il fut arrêté à Majorque. On
ignore s’il a été embarqué sur un vaisseau de guerre allemand ou
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