Retour à l'Ouest
Salengro
tourne le robinet du gaz.
Un million de travailleurs vont suivre sa dépouille mortelle,
sur laquelle des journalistes continueront à jeter, par petites pelletées, la
boue qu’ils tirent de leur âme…
On aurait honte d’être un homme du temps présent, si l’on n’était
fier d’être du côté des victimes qui, tout de même, finissent par apprendre à
vaincre. Madrid nous l’atteste.
De la guerre civile à l’économie dirigée *
5-6 décembre 1936
N’avais-je pas raison, il y a quelques semaines, au moment
où la plus noire angoisse se suspendait sur Madrid, de faire appel à la
confiance ? La bataille de Madrid est gagnée. Ils ne passeront pas. La
preuve est faite qu’ils savent faire donner l’artillerie lourde contre une cité
peuplée de femmes et d’enfants, brûler les trésors d’art de leur pays, fusiller
l’élite des populations prisonnières… La preuve est faite aussi qu’ils ne
savent pas, qu’ils ne peuvent pas vaincre, malgré la supériorité de l’armement,
le bénéfice de l’intervention technique de deux grandes puissances, les
connaissances militaires de leurs chefs. Les journalistes qui annonçaient il y
a un mois l’imminente entrée triomphale de Franco à Madrid commentent aujourd’hui
son échec. Une grande ville, voyez-vous, est une vaste forteresse naturelle… Pour
encercler Madrid, Franco devrait établir un front continu de vingt-cinq
kilomètres environ et qui risquerait, en plusieurs endroits, d’être pris entre
deux feux. Il n’a pas assez de bonnes troupes pour cela, son ravitaillement est
précaire. L’hiver est trop rude sur le plateau de Castille pour les combattants
marocains. Enfin, le gouvernement de Burgos, s’il ne manque pas d’appuis
diplomatiques, manque d’argent. De nobles vieilles dames lui ont offert leurs
bijoux, il est vrai ; mais ce n’est pas suffisant. Autant d’arguments
judicieux qui, par voie de conséquence, nous en suggèrent d’autres. N’est-ce
pas pour atténuer l’effet moral de son échec sur terre que la junte fasciste a
annoncé des opérations navales contre Barcelone qui seraient manifestement
au-dessus de ses forces ? Battu sous Madrid au début de l’hiver que pourra
Franco contre Barcelone pendant l’hiver ? Or, le temps travaille contre
lui. L’Espagne républicaine, qui est celle des travailleurs, apprend chaque
jour à mieux produire, mieux organiser ses forces, mieux combattre.
À la longue, c’est-à-dire après la campagne du printemps, sa
victoire paraît aujourd’hui certaine, sauf interventions ouvertes, massives, de
l’Allemagne ou de l’Italie. Mais il faut bien dire que ces interventions-là, pour
faire pencher la balance du côté des assassins de la nation, devraient être
amples et persévérantes. Quelques milliers d’hommes, quelques dizaines d’avions,
quelques sous-marins n’y suffiront pas. L’intervention à demi avouée ne fait
que prolonger la lutte, accumuler les ruines et les sacrifices, aggraver la
défaite finale de la contre-révolution. Pour l’emporter réellement, les
puissances fascistes devraient agir au grand jour sans ménager leurs propres
ressources. La flotte et l’aviation italiennes pourraient alors vaincre Barcelone
ouvrière. Mais le risque serait encore si gros pour le régime mussolinien qu’il
ne s’embarquera très probablement pas dans une pareille aventure.
Ce serait en effet mettre en question le statut de la
Méditerranée, porter atteinte aux intérêts vitaux de la France et de l’Angleterre.
Des complications plus sérieuses que celles de l’affaire éthiopienne en
résulteraient. N’oublions pas que l’Italie a deux ou trois cent mille hommes à
ravitailler en Abyssinie et un trésor fort compromis.
Ce que la réaction européenne craint le plus en ce moment, c’est
l’établissement en Espagne républicaine d’un régime socialiste. Le mouvement
ouvrier du monde entier en recevrait en effet une nouvelle impulsion ; l’exemple
d’une économie collectivisée dans un pays beaucoup plus démocratique – et plus
civilisé dès lors – que la Russie ferait son œuvre… Comment les politiques de
la bourgeoisie fasciste et fascisante ne se rendent-ils pas compte qu’en prolongeant
la guerre civile, ils poussent inéluctablement l’Espagne vers les solutions qu’ils
redoutent le plus ? Les anciens disaient que les dieux aveuglent ceux qu’ils
veulent perdre…
Considérons un moment les suites économiques
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