Retour à l'Ouest
fibres
de l’être, du côté de vos défenseurs.
Ne pouvant visiblement prendre la capitale, le général
Franco entreprend de la détruire. Il faut être, pour se résoudre à ce beau
dessein, nationaliste et conservateur… Les puissances ennemies de la barbarie
populaire fournirent les bombes incendiaires. La Casa Velasquez s’effondre dans
les flammes. Le palais des ducs d’Albe, plein de trésors d’art, n’est plus qu’un
brasier. Et dans un grand journal français, connu pour sa sagesse bourgeoise et
sa modération, un chroniqueur s’afflige des souffrances morales de l’incendiaire.
Nous aurons tout lu… Je cite
le Temps
du 18 novembre dernier.
« Des quartiers entiers sont, dit-on, en flammes, dont
celui de l’ambassade de France, qui a été elle-même atteinte. Les victimes dans
la population civile se compteraient par centaines.
» On devine qu’elles ont dû être les pénibles
hésitations du généralissime Franco avant de se résigner à un acte aussi cruel.
Mais il ne lui était pas permis d’attendre davantage sous peine de compromettre
le succès final de son entreprise. Par ailleurs, les horribles désordres dont
Madrid est depuis quelque temps le théâtre, sont de nature aussi à l’obliger de
précipiter son action… »
Pénibles hésitations chez le valeureux général, horribles
désordres à Madrid, – vous avez bien lu. Chaque mot de ces proses-là pèse son
poids d’hypocrisie et de mensonge, chaque mot fait balle et les journalistes
qui écrivent comme ça sont bien les frères des artilleurs du « généralissime »,
– leur généralissime…
En dépit du massacre des enfants dans les cours d’écoles et
des passants dans les rues, leur entreprise commune s’avère d’ailleurs de plus
en plus compromise. Le bombardement de Madrid a été un expédient désespéré :
et il a manqué son but. La reconnaissance des rebelles par les puissances
fascistes est un autre expédient, diplomatique celui-là, tendant à réconforter
les nationalistes à la veille de la campagne d’hiver. Il faut souligner que la
résistance victorieuse de Madrid, cet extraordinaire redressement d’une
situation infernale, en pleine bataille, opéré par des forces ouvrières
constitue un exploit militaire et mieux encore : un exploit
révolutionnaire comparable, par sa portée révélatrice, à la victoire de la
Marne. Acceptons avec reconnaissance cette leçon d’énergie. Du fond de la
défaite, de la désorganisation, du chaos, du sang des pauvres les ouvriers et
les paysans d’Espagne ont tout à coup tiré sous nos yeux cette victoire…
II
Un soldat sort en rampant des ténèbres de la tranchée. Ses
camarades le voient disparaître, collé au sol, entre des morts et des blessés
qu’il va relever. Il ne revient pas. Il a, par hasard, survécu à son héroïsme. On
l’a connu dans un camp de concentration où il résistait au vainqueur. Plus de
quinze années se sont écoulées. Ce soldat est devenu le maire socialiste d’une
grande cité ouvrière. Ministre du Front populaire… Et il a toute la presse à
ses chausses, pareille à une meute, la presse qui comprend si bien les « pénibles
hésitations du généralissime Franco… » Pour avoir été, un soir de guerre, le
soldat intrépide qui sortit de sa tranchée et rampa vers l’ennemi, les copains
agonisants, la captivité, la mort, le voilà devenu l’homme le plus insulté de
France… Rien ne peut le laver de l’insulte. Hommes d’État et généraux, soldats
et militants, les plus hautes autorités bourgeoises, les plus sûres amitiés
ouvrières ne suffisent pas à le défendre. La calomnie se colle à lui, le
harcèle, recommence après chaque démenti, renaît de ses propres cendres… Quand
tout semble fini, à la fin, quand il n’y a vraiment plus rien à dire sur des
dossiers étudiés à fond, voici que l’on crée la légende de documents
confidentiels de provenance allemande… Cette légende et quelques autres. Ce ne
sera jamais fini.
Alors, un soir, le ministre de l’Intérieur de l’une des plus
grandes puissances du monde rentre dans son petit logis froid et désert de la
cité industrielle. La femme de ménage a laissé son dîner entre deux assiettes, sur
le poêle, pour qu’il ne refroidisse pas trop vite. – Qu’il y a donc de salauds
sur la terre ! d’inlassables salauds ! Et que l’on peut se sentir
seul après les batailles, quand les nerfs flanchent enfin… Roger
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