Retour à l'Ouest
pas de même en Espagne ? Tous les
témoins revenus de là-bas s’accordent à constater qu’on est parti de rien, dans
une pagaïe indescriptible, qu’il a fallu tout improviser, que la classe
ouvrière a fait merveille, malgré tout, que de jour en jour, de semaine en semaine,
l’organisation des milices progresse. Un combattant me disait :
« J’ai vu partir pour le front les premières autos
blindées construites par les camarades. C’étaient des petits camions recouverts
de tôles, un peu rigolos, entre nous soit dit. J’ai vu la deuxième série déjà
un peu meilleure… Quinze jours plus tard, on sortait de vraies voitures blindées,
tout à fait sérieuses celles-là. »
Ainsi de tout…
La Catalogne est devenue un camp retranché où la production
fonctionne irréprochablement, où des industries de guerre entièrement nouvelles
se sont créées [80] .
(L’Espagne importait la poudre ; maintenant, elle la fabrique elle-même.) Les
milices madrilènes ne sont, par malheur, entrées dans leur véritable période d’organisation
et d’armement que pendant le début de l’offensive des rebelles. Dans son
premier communiqué de Valence, le gouvernement Caballero tient, en dressant le
bilan des forces populaires, un langage rigoureusement exact. Si même Madrid
tombait, le peuple garderait les régions industrielles les plus importantes, Catalogne,
Asturies, Biscaye, les régions agricoles les plus fertiles, Valence, les ports
les plus importants ; il conserverait, en dépit des saignées, la majorité
même à l’arrière des généraux ; il garderait la réserve d’or qui est aussi
une arme puissante. Et c’est dire que le temps qui, mesuré par journées, semble
parfois travailler contre lui, mesuré par mois, travaillerait nécessairement
pour lui.
La guerre civile sera longue ; à n’en pas douter la
campagne d’hiver sera suivie d’une campagne de printemps. À la longue, la
majorité doit l’emporter sur la minorité ; les masses populaires doivent l’emporter
sur la minorité fasciste du moment qu’elles ont la possibilité matérielle de s’armer
et le temps de s’organiser. L’organisation naît du chaos et la victoire de l’organisation.
Il faut sans cesse, en lisant les dépêches de Madrid, réprimer notre angoisse, car
nous sentons tous que ce sont les nôtres, au sens le plus charnel du mot, qui
se battent et meurent… Efforçons-nous pourtant de ne point laisser l’angoisse
obscurcir notre jugement. Si les généraux succombaient sous les murs de la
capitale, ils ne s’en relèveraient plus. Si les milices populaires perdent
cette bataille, la guerre de libération en sera prolongée sans être perdue. Notre
confiance n’est nullement sentimentale, elle ne demande ses raisons qu’à la
raison. Et je veux souligner ici qu’elle s’accorde pleinement avec le sentiment
des militants espagnols. Ils ont foi en eux-mêmes et ce n’est pas une foi
aveugle, mais intelligente et volontaire. Ayons foi en eux.
Gide, retour d’URSS *
21-22 novembre 1936
Une curieuse atmosphère s’était créée à Paris autour du
livre de Gide, avant qu’il ne parût. Que n’en disait-on pas ! Des
échotiers sournois le présentaient d’avance comme un livre amer et hostile au
communisme. (Nul, ici-bas, n’est moins honnête, et moins intelligent qu’une
certaine espèce d’échotiers.) On commentait dans le monde russe la suspension
de la publication des œuvres complètes d’André Gide en URSS ; on citait
les réserves tout à coup formulées par la critique soviétique sur l’œuvre et le
caractère d’un homme dont elle faisait hier le plus grand représentant, tout à
la fois, de la culture occidentale et de la littérature révolutionnaire… On murmurait
que le livre ne paraîtrait peut-être pas, bien qu’imprimé déjà, car des pressions
occultes étaient exercées sur l’auteur pour obtenir son silence ou tout au
moins qu’il différât sa confession… Retenons de tout ceci, la bêtise et l’intrigue
écartées, que le message d’André Gide émouvait avant d’être connu, contrariait
des intérêts, troublait des consciences, passionnait des hommes réunis ou
divisés par leur attachement à la révolution socialiste.
Le voici, ce message, sur ma table. Un petit livre concis et
clair où la pensée monte dans un grand silence. Gide a certainement beaucoup
souffert en Russie, comme il sait souffrir sans éprouver le besoin de le dire. Le
livre
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