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Retour à l'Ouest

Retour à l'Ouest

Titel: Retour à l'Ouest Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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est dédié à Eugène Dabit qu’il a vu s’éteindre là-bas. Le livre ne dit
rien du procès des Seize fusillés et pourtant Gide était en URSS pendant ce
drame. J’admets, je comprends ce silence, le poids de ce silence, moi qui
serais si tenté de crier à tant d’autres : Que pensez-vous de ça ? Croyez-vous
que vous avez le droit de vous taire là-dessus ? Gide est revenu d’URSS
fortifié dans sa conviction socialiste (au sens large du mot), avec un tel
dévouement à la révolution russe et une telle rectitude dans le service de la
vérité que sa parole et son silence sortent grandis de cette épreuve. Dangereuse
épreuve pour l’intellectuel d’Occident que le contact avec le régime né de la
révolution d’Octobre.
    « La vérité, dit André Gide, fût-elle douloureuse, ne
peut blesser que pour guérir… » Et dès lors son choix est fait entre les
deux voies opposées de ceux qui pensent que le mouvement ouvrier n’a rien à
craindre de la vérité, ne peut vaincre que par la vérité et de ceux qui s’imaginent
ou feignent de s’imaginer qu’on peut mettre à son service le mensonge, tous les
sales vieux trucs destinés à remonter le moral de l’arrière, pendent les
guerres du capitalisme, tous les bas intérêts qui ne peuvent se passer du
mensonge puisqu’ils ne sauraient paraître sans masque devant les travailleurs…
    Dès lors, il faut qu’il écrive, après avoir traité du
conformisme en matière d’art et de littérature, cette terrible petite phrase :
    « Je doute qu’en aucun autre pays aujourd’hui, fut-ce
dans l’Allemagne de Hitler, l’esprit soit moins libre, plus courbé, plus
craintif (terrorisé), plus vassalisé. »
    Ni M. Aragon, ni M. Paul Nizan, ni M. Jean
Guéhenno, ni M. Jean-Richard Bloch ne relèveront cette phrase qui implique
pourtant la plus sévère réfutation de leurs thèses ; car c’est une
question de faits. La preuve est possible. La preuve est faite. Cet état de
choses on peut, à la rigueur, l’approuver, on ne peut pas le nier. Ici, le témoignage
de Gide peut rendre un service inégalable aux intellectuels. Si quelques-uns d’entre
eux, pour y répondre avec bonne foi, prenaient enfin catégoriquement la défense
d’une conception totalitaire du communisme excluant la liberté de pensée, ce
serait courageux de leur part et la clarté des idées y gagnerait. Le socialisme
de pensée libre aurait enfin à combattre des adversaires avoués, dignes par
cela même d’une plus grande estime.
    Le plus grand mal considéré bien en face, Gide clôt son
livre sur ces mots :
    « L’aide que l’URSS vient d’apporter à l’Espagne montre
de quels heureux rétablissements elle demeure capable.  L’URSS n’a pas fini de
nous instruire et de nous étonner. »
    De nous instruire même parce qu’elle a de plus tragiquement
décevant et déroutant, oui. De nous étonner par la grandeur de l’effort des
travailleurs, cet effort fût-il poursuivi dans les conditions les plus
affligeantes, oui. Je ne sais pas si telle est bien exactement la pensée de
Gide, mais de la confrontation avec son témoignage la mienne se dégage
fortifiée sur deux points : confiance au socialisme, confiance aux
travailleurs.

Le temps présent… *
    28-29 novembre 1936

I
    Nous aurons tout vu. Des généraux violant leur serment au
nom de l’ordre, de la propriété, de la religion, de la patrie ; appelant
les Maures à conquérir leur pays pour l’Église catholique ; se montrant
tout disposés à fusiller la moitié de leur peuple, le proclamant bien haut et
commençant d’ailleurs en toute occasion ; les gazettes bien-pensantes du
monde entier, souhaitant la victoire de ces généraux dits nationalistes, sans
doute par antiphrase puisqu’ils s’évertuent à assassiner la nation… Nous aurons
tout vu sur le plan du mensonge et de l’inhumanité. Tout, sans oublier ces
hallucinantes photos de fillettes tuées pendant le bombardement de Madrid. Ah, qu’elles
expliquent de choses par-delà les phrases, ces images du temps présent ! On
croit discerner la pâleur des petits visages refroidis où les paupières
mi-closes voilent le doux velours sombre des yeux, – des yeux à jamais éteints.
Adorables Lolita, Juanita, Dolorès, Consuelita, gracieuses petites Madrilènes
déchirées par les obus, votre mort atroce fait qu’on aurait honte d’être un
homme d’aujourd’hui, si l’on se sentait tout entier, jusqu’aux dernières

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