Retour à l'Ouest
améliorer un peu les hommes et le siècle… Mais quelle plume
vengeresse faudrait-il avoir pour dire ce Noël 1936, mettre les chrétiens
officiels, les grands chrétiens patentés en présence d’eux-mêmes, les rappeler
inflexiblement à leur propre vérité, – qui est aussi la nôtre, après tout !
Nous manquons d’un Léon Bloy, d’un Lamennais, d’un Victor Hugo :
Saint Père ! On
voit du sang sur tes sandales blanches !
Ce qui mène aujourd’hui votre troupeau, dans l’ombre,
Ce n’est pas le berger, Seigneur ! c’est le boucher !
Quelle plus simple transcription donner de la parole d’Évangile :
« Aimez-vous les uns les autres », sinon : pensez aux autres, à
la peine et à la souffrance d’autrui ? Et quels chrétiens du temps présent,
s’ils ont pensé à autrui, en cette fête de Noël, ont échappé à une peine proche
du remords ?
Une commission britannique estime que le tiers des
habitations de Madrid sont détruites. Le tiers d’une grande capitale civilisée,
chrétienne par surcroît, et même très catholique n’est plus que décombres et
sous ces décombres il y a des cadavres. Cela fait-il deux cent mille, trois
cent mille foyers pilonnés par l’artillerie ? Vous sentez bien qu’avec des
chiffres de cet ordre la précision n’a plus d’importance. On est devant un
abîme. Qui a fait cette chose sans précédent historique, sans nom, sans
justification, sans gloire – ah oui ! car même à ce prix-là, ils se sont
fait battre ! – Qui ? Une armée au service de l’ordre, à en croire
les gens bien pensants, contre la barbarie ouvrière. Une armée dont les
généraux vont à la messe et dont les drapeaux volés à la nation sont bénis par
les évêques. Le Vicaire du Christ, sur la terre a-t-il condamné ces crimes ?
Il s’est tu et la feuille de sa chancellerie, l’
Osservatore Romano
appelle discrètement, mais nettement, la
bénédiction divine sur les armes des généraux. Les grands de l’Église se
taisent. Ils approuvent. L’archevêque de Paris, informé par une délégation des
catholiques de Bilbao des nombreuses exécutions de prêtres commises par les phalangistes,
les carlistes et les Maures, a refusé de parler. Monseigneur ne voit d’atrocités
qu’à gauche.
Déjà pendant la grande guerre des coalitions impérialistes, nous
avions vu toutes les Églises bénir toutes les armes en demandant au ciel des
victoires pour tous les puissants. Des deux côtés des fronts, des chrétiens
priaient avant d’aller s’entretuer. C’était la même immense défaite pour toutes
les Églises, dont la complicité avec le désordre établi aboutissait à ces
palinodies. Il fallut un athée – Romain Rolland – et des révolutionnaires pour
rappeler les hommes au sentiment humain en condamnant la guerre.
Aujourd’hui, c’est devant le déchirement d’une nation que le
haut clergé dépose un autre masque. Ou plutôt les deux masques à la fois, le
vieux et le nouveau. Que devient, en effet, dans ce massacre de la nation, dans
cette destruction de sa capitale, dans cet appel aux Maures, aux Italiens et
aux Allemands contre le pays, le sentiment national, justification de toutes
les guerres du passé ? On croit voir le vieux mensonge se dissiper en
fumée comme l’autre, celui de l’ordre et de la paix sociale prêché de coutume
par les Universitaires, les Évêques, les Comités des Forges et les gens de
plume… Les bas intérêts sont à nu. La crèche de Noël 1936 est pleine d’obus, de
titres de Rio-Tinto et de papier imprimé qui ment, ment et ment.
Les vieilles vérités ont changé d’asile. Elles se sont
réfugiées, comme aux grandes époques, chez ceux que l’on persécute et crucifie
avec l’approbation des clergés, bien entendu. Le christianisme fut en son temps
l’annonciateur d’une profonde révolution sociale. Ses fondateurs souffrirent le
martyre pour une cause terrestre infiniment plus que mystique. Ils apportaient
aux exploités une dignité nouvelle ; le royaume de Dieu qu’ils espéraient
instituer sur la terre devait être la cité de justice à laquelle nous avons
appris à donner d’autres noms et que nous finirons bien par construire… Nous ou
ceux qui viendront après nous. Je me souviens de beaux placards de la CGT d’autrefois.
Il y en avait qui criaient : « Camarade, apporte ta pierre, nous
bâtissons la société future ! ». Langage fier et véridique des
prophètes. Tout servira.
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