Retour à l'Ouest
n’est pas près d’abdiquer ses libertés élémentaires…
De notre côté, du côté du socialisme, un seul point noir, mais
tragique et que l’on est désolé de devoir marquer pour ne point pécher contre
la vérité : les proscriptions en Russie, l’exécution des compagnons de
Lénine à Moscou. Que l’URSS serait admirable et grande sans ces taches de sang,
si tout en aidant les travailleurs d’Espagne, elle offrait au monde l’exemple d’une
véritable démocratie du travail, c’est-à-dire, pratiquement, du respect de la
liberté d’opinion et d’organisation pour toutes les tendances du mouvement
ouvrier !
Des interventions étrangères en Espagne
9-10 janvier 1937
Les masques tombent comme des feuilles mortes, l’un après l’autre.
L’époque est au cynisme. Sous un rapport, tout au moins, c’est
bon signe, malgré tout. Cela signifie que les puissants de ce bas monde sont au
bout du rouleau. Mentir ne leur sert plus de rien, ils tirent le couteau. Et, pendant
que le Comité de non-intervention [83] délibère ou sommeille, ce qui revient exactement au même, 6 000 Allemands
débarquent à Cadix [84] .
Et pendant que Mussolini signe avec le gouvernement britannique le « Gentlemen’s
agreement » – c’est-à-dire « l’engagement d’honneur » de ne
point attenter au statut de la Méditerranée, 4 000 – ou 6 000 – Italiens,
sans doute des touristes revenus d’Éthiopie, débarquent à leur tour à Cadix [85] …
Les vieilles hypocrisies et les vieilles conventions, telles
que le droit international, les traités, les pactes, avaient du bon, même et
surtout pour les classes dirigeantes : sans quoi, elles ne les eussent pas
inventés. Maintenant que tout se réduit à des chiffons de papier et à des
paroles qu’emporte la brise, on peut se demander ce que ces classes dirigeantes
pourront bien invoquer dans les grandes crises inéluctables de l’avenir. Tout
fonder sur la force est dangereux, car la victoire des armes est inconstante, les
guerres sociales l’attestent non moins que les guerres d’États.
L’intervention à découvert de l’Allemagne et de l’Italie
fascistes en Espagne nous met tous devant un fait nouveau d’une extrême
importance. Bien que la gravité en soit certaine, je n’y vois pas encore de
raisons de pessimisme. La paix de l’Europe est menacée ; mais elle l’est
ouvertement et, dès lors, il devient possible de la mieux […
]
[86] .
Les responsabilités sont visibles : tant mieux. La classe ouvrière d’Espagne
a pour le moment 12 000 ennemis de plus, supérieurement équipés, à
combattre. Leur nombre peut grandir… Jusqu’ici, nous y voyons seulement la
preuve de la défaite de Franco. La réaction, avec ses Maures, ses Phalanges, ses
Carlistes, ses millionnaires, ses avions Caproni et Junker, la réaction
fasciste de la péninsule est battue par le peuple, puisqu’il faut, au risque
des plus graves complications, lui envoyer ces renforts et transformer une
sédition nationaliste en conquête étrangère.
Considérons rapidement l’expérience du passé. Tous les
grands bouleversements sociaux ont déterminé des interventions étrangères qui
ont, de coutume, coûté fort cher, causé de bien grandes souffrances et fini
plutôt piteusement. La Révolution française connut l’aventure du duc de
Brunswick qui, dans un manifeste demeuré fameux, annonça la destruction de
Paris. (Voyez comme la mentalité des généraux de la contre-révolution change
peu en plus d’un siècle ! Réservons ce sujet pour une étude sur la
conservation des bas instincts par les conservateurs…) D’un point de vue
purement militaire, la défaite de Brunswick à Valmy eut quelque chose d’inexplicable.
Nul ne la comprit mieux cependant qu’un jeune poète qui, à l’armée prussienne, entendit
les soldats sans culottes – et presque sans chaussures et presque sans cartouches
– de l’autre côté du front acclamer la nation. Wolfgang Gœthe comprit ce
jour-là que ces hommes avaient quelque chose à défendre et qu’une grandeur nouvelle
était née dans le monde [87] .
Brunswick pouvait peut-être battre l’armée de Dumouriez, mais
il ne s’agissait pas de cela : il s’agissait de vaincre une nation et les
armées des monarques ne s’étaient encore jamais mesurées avec une nation ;
et la clameur de cette nation émouvait jusqu’aux jeunes aristocrates de l’armée
prussienne…
La coalition, divisée par ses
Weitere Kostenlose Bücher