Retour à l'Ouest
même dans les vieux pays
démocratiques, la plupart des politiques de la bourgeoisie. Ils se préparent
ainsi de fort tristes réveils.
On a vu l’Allemagne procéder à un réarmement grandiose, imposer
impunément à plus de soixante millions d’Européens le bâillon, la camisole de
force, l’antisémitisme, le racisme, le culte obligatoire du
Führer
, une écrasante bêtise officielle,
dûment casquée, gonflée d’enthousiasme publicitaire, armée, surarmée… On voit l’Allemagne
hitlérienne intervenir en Espagne, méditer un mauvais coup analogue en Tchécoslovaquie,
bafouer la Société des Nations à Dantzig, abattre chaque mois quelques têtes de
militants ouvriers… Le sang d’Edgar André est encore frais. Tout ceci pour défendre
la civilisation contre le bolchevisme !
On a vu les trimoteurs hitlériens au service des
nationalistes espagnols (vous avez bien lu) détruire une des plus belles
capitales de l’Europe… Comme il avait raison, le vieux Marx, d’écrire après le
massacre des communards en 1871 :
« La civilisation et la justice de l’ordre bourgeois
apparaissent dans une lumière sinistre chaque fois que les esclaves, les
asservis, les accablés, les écrasés se soulèvent contre leurs maîtres. Cette
civilisation, cette justice se dévoilent alors : sauvagerie sans masque, vengeance
sans frein. Chaque crise nouvelle dans la lutte de classes entre l’homme qui s’approprie
la richesse et l’homme qui la produit fait ressortir cette vérité avec plus d’éclat. » [82]
De la grande offensive du fascisme européen, les premiers
résultats sont visibles : l’Allemagne, à la veille du rationnement, la
paix du continent menacée, l’Espagne en ruines et – par contrecoup – la cause
de la bourgeoisie espagnole vraisemblablement perdue.
Le fascisme semble s’être jeté dans cette politique d’aventures
à la vue du relèvement du mouvement ouvrier. Les classes laborieuses avaient
aussi pris l’offensive, à leur façon, tout autrement, mais avec une
irrésistible puissance qui démontrait que leur état de dépression d’après-guerre
commençait à prendre fin. Éclatantes victoires du front populaire en Espagne et
en France. Victoires socialistes dans tous les pays scandinaves, particulièrement
privilégiés en Europe, par la liberté et le bien-être qu’ils assurent aux
masses. Grèves formidables de juin en Belgique et en France, attestant le
réveil des travailleurs, imposant en quelques jours à deux gouvernements et au
patronat des réformes que personne n’osait revendiquer ou promettre la veille. Faits
d’armes magnifiques enfin, de Barcelone, d’Oviedo, de Bilbao, de Madrid. Deux
grandes puissances avaient soutenu et encouragé les militaires ; un groupe
financier les appuyait ; ils étaient les maîtres des garnisons, des
arsenaux, des colonies ; ils avaient tout prévu, sauf que les ouvriers de
Barcelone iraient eux-mêmes prendre des fusils dans un bateau, coucheraient les
meilleurs des leurs, avec Ascaso, sur le pavé rougi et mettraient un soir en
prison, comme de tout petits Bonaparte avortés, toute une séquelle de généraux ;
– que les prolétaires de Madrid et de Malaga feraient de même ; que rien, rien
ne viendrait à bout des mineurs des Asturies et des pauvres gens de Madrid ;
qu’il faudrait fusiller la moitié des ouvrières de Séville, faire le vide
derrière soi pour garder jusqu’à l’arrivée des Maures bruns et blonds des
lambeaux du pays déchiré…
Dès maintenant, les milices ouvrières d’Espagne se sont
montrées dignes de vaincre, en dépit de leur inexpérience, de la pagaïe des
premiers jours, de quelques échecs ; dès maintenant, elles ont ajouté à l’histoire
du prolétariat international des pages inoubliables. Et c’est une chose
désormais certaine que, sauf intervention étrangère massive, le peuple espagnol
gagnera sa guerre. (Je me hâte d’ajouter, si hasardeux qu’il soit d’empiéter
sur l’avenir, que cette intervention massive me parait improbable : les
pays fascistes savent au fond très bien qu’ils ont trop à risquer avec des
chances précaires…)
Se souvient-on des pronostics de la grande presse sur le
ministère Doumergue-Tardieu, dernier cabinet parlementaire avant la république
à poigne anti-ouvrière réclamée par les hommes du 6 février ? Depuis, la
classe ouvrière a pris la parole et l’expérience du Front populaire montre tout
au moins qu’elle
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