Retour à l'Ouest
au droit féodal et celui-ci au droit
capitaliste. Un droit nouveau, collectiviste, s’est enfin imposé depuis vingt
ans en Russie à la suite d’une révolution faite par les travailleurs. La
propriété capitaliste n’est donc ni éternelle ni inséparable du développement
de la civilisation ; elle n’est pas non plus inséparable de la foi
chrétienne. Emmanuel Mounier, l’animateur de la revue
Esprit
, publiait récemment sur ces
sujets, un remarquable petit ouvrage :
De
la propriété capitaliste à la propriété humaine
. Traitant ce
problème en croyant, il nous semble opposer à la doctrine réactionnaire du
clergé, la seule tradition chrétienne méritant ce nom : et il se trouve qu’elle
est, dans son ensemble, sous ses deux aspects, moral et social, une tradition
socialiste…
« On ne possède que ce qu’on donne… » « La
vraie richesse n’est pas une accumulation de biens sensibles, mais une pauvreté
lumineuse… » et que peut-on donner de plus que soi-même, que sa vie et son
sang à sa cause ? Quelle plus lumineuse pauvreté, aujourd’hui, que celle
du militant ouvrier vivant pour l’avenir de sa classe et de tous les hommes ?
Mais ceci est l’aspect spirituel des choses et leur aspect économique nous
importe en ce moment davantage : la propriété est une notion économique
bien plus que spirituelle. Ici nous nous séparons de Mounier, pour plus de
clarté pratique.
Les premiers Pères de l’Église furent, sinon des communistes
(étant bien entendu qu’ils ne pouvaient pas l’être au sens moderne du mot) du
moins des hommes animés d’un esprit communautaire. « … Leurs anathèmes
bien connus sur les propriétaires dénoncent avec une énergie trop oubliée
depuis, toutes les avarices qui se tapissent sous les revendications de la propriété
privée… » – « Dans la bouche de saint Jean Chrysostome nous trouvons
l’apologie de la propriété collective : « N’est-ce pas un mal de
posséder tout seul les biens du maître, de jouir seul des biens communs ? »…
On sait que pendant deux siècles les Apostoliques rejetèrent de leur communauté
les propriétaires ».
Mounier rejoint, dans sa critique de la propriété
capitaliste, tous les théoriciens du socialisme. « Du droit à la
responsabilité, le capitalisme a fait un droit au profit usuraire et à l’impunité.
Il prétend défendre la personne, et il l’écrase sous le mécanisme anonyme de l’argent ;
la liberté, et il l’étouffe sous la guerre économique, l’exploitation sociale
et les oligarchies occultes ; l’initiative, mais il l’accorde à ceux-là
seuls qui sont maîtres ; le risque, mais il s’en préserve par une
solidarité de gangsters où commencent à entrer les États ». Au nom même du
personnalisme chrétien, Mounier revendique la propriété collective des moyens
de production, œuvre collective en réalité, œuvre des générations et des masses,
gérés d’ailleurs collectivement. Car, à y regarder d’un peu près, le mécanisme
même de la société moderne est déjà profondément collectiviste dans le travail,
l’administration, le perfectionnement technique : il ne cesse de l’être
que dans la répartition des biens et des droits et c’est ici que l’ancien
régime de la propriété entre à la fois en conflit avec l’intérêt de la très
grande majorité des hommes, celui de la production elle-même et tout sentiment
de justice.
Je ne suivrai pas Mounier dans son esquisse d’un nouveau
régime de la propriété assez entachée d’utopisme à première vue.
Nous pouvons et devons influencer le cours des évènements ;
mais l’histoire se fait bien plus que nous ne la faisons et elle ne tient
compte des recherches idéologiques et des programmes que dans la mesure où
ceux-ci, s’inspirant du cours des choses et des intérêts appelés à prévaloir, intègrent
la volonté humaine au devenir social. En d’autres termes : dans la mesure
où nous facilitons l’accomplissement des transformations devenues nécessaires. L’heure
de la socialisation des moyens de production sonne ou va sonner. C’est pourquoi
l’on se bat en Espagne comme on s’est battu en Russie. La résistance des
réactionnaires engendre des souffrances d’autant plus grandes qu’elle tend au
fond à contraindre le fleuve à remonter vers sa source. Grandeur spirituelle
engagée dans ces luttes, le christianisme en sortira rénové ou discrédité
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