Retour à l'Ouest
intérêts contradictoires, recula
devant l’immensité de la tâche.
De 1918 à 1921, la révolution russe est sans cesse en
présence de l’intervention étrangère. Des Anglais débarquent à Arkhangelsk [88] , des Français et
des Roumains à Odessa [89] .
Les Tchécoslovaques occupent le Transsibérien [90] ,
les Japonais s’emparent de Vladivostok. Ce n’est, dans les armées de la
contre-révolution, qu’uniformes, armes, artillerie, tanks de provenance
étrangère. Ici des conseillers allemands, là des conseillers alliés. Un Goltz sévit dans les régions de la Baltique, un Thomson en
Transcaspie [91] ;
le général Janin contrôle le commandement russe en Sibérie,
le général d’Anselme gouverne Odessa [92] .
La suite est connue, ce fut la guerre civile prolongée de deux ans, accumulant
les ruines et sériant les massacres, le peuple russe obligé de tendre au degré
suprême toutes ses énergies, le contrôle ouvrier de la production transformé en
nationalisation totale, le bolchevisme clément et modéré des premiers mois
aboutissant à l’inexorable dictature du camp retranché – et la victoire finale
des armées rouges de Lénine et Trotski.
Comme en 1793, nulle part l’intervention étrangère ne fut, il
est vrai, poussée à fond ; et l’on peut, dès lors, objecter que si elle l’eût
été, les résultats eussent été fort différents. J’en doute fort, pour ma part, mais
le hasard et même la volonté des gouvernants ne sont pour rien dans tout ceci. Dans
ces deux précédents historiques l’intervention étrangère ne fut pas poussée à
fond pour des raisons qui empêcheront très vraisemblablement, sans serrer de
trop près l’analogie, de la pousser à fond en Espagne.
Ces raisons, les voici :
1) Conflit d’intérêts entre les puissances ; 2) perspectives
de crises sociales chez les fauteurs d’intervention ; 3) nécessité d’envisager
des opérations très longues, très amples et très coûteuses en présence d’un
adversaire dont le potentiel de résistance est inconnu en réalité et malgré des
États rivaux très hostiles susceptibles d’intervenir à leur tour au moment des
plus grandes difficultés.
Nous pourrions invoquer d’autres exemples. Les États-Unis se
sont bien gardés d’intervenir dans la révolution mexicaine. Le Japon a eu la
louable sagesse de ne pas intervenir dans la révolution chinoise, après s’être
heurté à Shanghai à une résistance inattendue. Sans doute un
Führer
ou un
Duce
peut-il perdre la raison. Malheur
aux peuples, alors, mais aussi malheur aux classes qui confient leur destin aux
dictateurs ! Les dictateurs au bout de cet effroyable saut dans l’inconnu
perdraient infailliblement tout ce qu’ils ont à perdre.
Christianisme et propriété *
16-17 janvier 1937
Le haut clergé catholique de divers pays, fidèle à sa
mission temporelle qui est de collaborer par des moyens assez improprement dits
spirituels à la défense du désordre établi n’a pas manqué de dénoncer une fois
de plus, dans ses messages de fin d’année, le danger communiste. Qui s’en
étonnera ? Puissante elle-même, et fort riche, l’Église a toujours été
avec les puissants et les riches… Tout le haut clergé d’Espagne est avec les
destructeurs de Madrid. On voit, par contre, des prêtres et des catholiques se
battre du côté des républicains, c’est-à-dire du peuple socialiste. La rude
réalité de la lutte des classes l’emporte ainsi sur les mensonges les plus
habiles et la flamme spirituelle n’y peut guère. Elle appartient, déchirée, aux
uns et aux autres : car les hommes sont gouvernés par leur intérêts bien
plus que par leur foi, – et leur foi même se fonde le plus souvent, dans une
très large mesure, sur leurs intérêts… ou se déforme selon leurs intérêts…
On ne comprendrait guère autrement la transformation du
christianisme au cours des siècles et sous nos yeux. En condamnant le
communisme, avec la plus déconcertante mauvaise foi, le haut clergé défend le
régime capitaliste de la propriété, comme si ce régime pouvait avoir dans la
doctrine chrétienne une justification véritable. Depuis l’avènement du
christianisme, c’est-à-dire depuis que l’enseignement révolutionnaire des
apôtres devint à son tour, entre les mains des gouvernants de la société
antique, un moyen de gouvernement, le régime de la propriété a changé plusieurs
fois. Le droit romain a fait place
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