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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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filles, les Weston Clarke, Eliza Colson, tendrement suspendue au bras de son mari, Philip Rodney, Uncle Dave et d'autres, tous, verre en main, croquant canapés, gaufres et gâteaux préparés par le cuisinier du manoir, échangeaient questions et réponses.
     
    Charles vit avec plaisir Ottilia enlacer et couvrir de baisers Ounca Lou, et cette dernière lui rendre avec entrain ses embrassements. Les demi-sœurs tenaient à donner le spectacle d'une aimable complicité à tous ceux qui, ne pouvant oublier l'attitude passée de lord Simon à l'égard de sa fille naturelle, guettaient des manifestations de mésentente. Toutes deux jeunes, belles et gaies, devaient paraître les meilleures amies du monde pour abolir les ragots. Sans se concerter, elles avaient adopté le comportement souhaité aussi bien par lord Simon que par Charles Desteyrac.
     
    – Quand verrai-je votre fils, mon neveu, dont je n'ai appris la naissance qu'à New York ? demanda Ottilia.
     
    – Dès demain, si vous le voulez, Otti, répondit la mère, usant volontairement du diminutif réservé aux très intimes.
     
    Au cours d'un aparté, Charles fit observer à sa femme combien lord Simon et Malcolm Murray s'étaient « réanglicisés ».
     
    – Lord Simon s'est fait mettre à Londres un nouveau dentier. Son sourire paraît maintenant menaçant comme celui d'un dogue à qui l'on défend d'aboyer. Quant à votre ami Malcolm, je le trouve, avec ce veston cintré, de plus en plus dandy, plaisanta Ounca Lou.
     
    – Ce sont des Anglais remis à neuf, raffermis dans leur anglicité native, dit Charles.
     
    Cela s'entendait à leur accent, provisoirement purifié des intonations bahamiennes, souvent comparées à celles de l'anglais parlé en Afrique du Sud ; cela se percevait aussi à leur attitude plus mondaine, aux vêtements qu'ils portaient, coupés à la dernière mode de Savile Row. Ainsi lord Simon arborait un veston droit, couleur prune, à revers étroits, Murray un veston noir croisé, ajusté à la taille, et tous deux des pantalons gris perle à sous-pieds. L'ingénieur admira le gilet à ramages de Malcolm, auprès duquel le sien, de piqué blanc, faisait pauvret.
     
    Au fil des conversations mêlées, on apprit que lord Simon avait obtenu du gouvernement de Sa Très Gracieuse Majesté le titre et les fonctions de juge de la Couronne pour Soledad, dont il était propriétaire. Simon pourrait ainsi être appelé comme juré de la Court of Appeal , à Nassau, où ne pouvaient siéger que les personnes possédant au moins mille livres de biens dans l'archipel.
     
    Dominant sa timidité et se sachant maintenant acceptée, Ounca Lou intervint pour rappeler que son grand-père, colon d'Eleuthera, avait été chargé par le gouvernement britannique de veiller au respect du droit à l'apprentissage reconnu aux anciens esclaves.
     
    – Très bonne loi et qui devrait être partout appliquée, commenta Cornfield, un peu gêné d'ignorer la carrière du grand-père maternel de sa fille, un Anglais qui avait eu l'audace d'épouser une Arawak.
     
    Malcolm Murray retint l'attention en racontant qu'il avait vu, à Londres, des hommes boxer à mains nues, et, dans une fosse aux rats, un chien nommé Tiny tuer plus de deux cents rats en moins d'une heure. Le récit de cet exploit provoqua chez les dames des gloussements d'effroi.
     
    Les souvenirs de Malcolm ne se résumaient pas à des incursions dans les mauvais lieux. Sa passion pour les objets anciens et curieux l'avait conduit à Édimbourg où s'était tenu un congrès d'antiquaires ; dans le Herefordshire, chez sir Rush Meyrick, célèbre collectionneur d'armes médiévales ; au château de Glengoich, en Écosse, dont le propriétaire, Edward Ellice, ami du Français Prosper Mérimée, cachait un cabinet de curiosités.
     
    Il dit aussi avoir été scandalisé par une triste découverte : les cendres de lord Byron n'étaient toujours pas transférées à Westminster dans le coin des poètes.
     
    – Le monument, envoyé par le sculpteur danois Bertel Thorvaldsen, attend toujours sous la poussière d'un entrepôt des douanes, et personne ne proteste. Ce qui gêne le plus les ignares puritains au pouvoir, ce n'est pas tellement la vie amoureuse, parfois incestueuse, de ce véritable aristocrate, c'est le fait qu'il ait acquis, par son seul génie poétique, une réputation universelle avant de combattre et de mourir pour la liberté des Grecs, acheva-t-il

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