Retour à Soledad
Charles et Carver échangèrent un regard interrogateur.
– Je sais que Malcolm ramène son ancien valet. Vous vous souvenez de ce Mortimer qu'il renvoya après son évasion manquée aux Bermudes, lors de notre voyage de Liverpool à Soledad, il y a plus de quatre ans. Il lui aura pardonné sa traîtrise d'autrefois. Mais nous n'avons que faire de cet individu ! bougonna le major.
– Attendez, je crois que voici la surprise ! Regardez qui descend à terre ! s'écria soudain Charles.
– Mais... c'est... c'est ce diable de Mark Tilloy ! s'exclama le major.
– Je le crois marié, et bien marié, à la petite Ann, la fille de Jeffrey Cornfield, rappela Desteyrac.
– Sans doute arrive-t-il avec son épouse. Va falloir les loger, soupira Edward, toujours pratique.
À mi-descente de l'échelle de coupée, Mark Tilloy, ayant reconnu Charles, agita les bras et poussa un « hello ! » très américain. Sur le quai, les deux hommes se donnèrent une fraternelle accolade.
Le major Carver avait eu autrefois pour Mark Tilloy une affection quasi paternelle. Il s'en souvint et ne cacha pas son plaisir de revoir l'ancien second du Phoenix , devenu, pensait-il, un homme d'affaires new-yorkais plein d'avenir.
– Ann, votre épouse, est encore à bord ? demanda-t-il.
– Je n'ai pas d'épouse, major, et bien des choses ont changé depuis mon départ de Soledad. Je vous raconterai tout ça. La seule nouvelle importante est que lord Simon s'est inquiété de mon sort à New York, m'a pardonné ma démission et rétabli dans mes fonctions, avec l'accord de Colson. Je suis rudement content de vous revoir et de remettre le pied sur ce sacré morceau de corail que je n'aurais jamais dû quitter ! déclara Mark.
– En attendant que je vous trouve un toit, vous aurez une chambre chez moi, dit Carver.
Tilloy accepta l'offre et s'excusa de ne pouvoir poursuivre la conversation. Il devait, à la demande de Colson, s'occuper du déchargement et du transport à Cornfield Manor des bagages de lord Simon et de sa fille.
– Et je ne suis pas sûr que deux tapissières suffiront, dit-il en désignant les grands chariots bâchés.
Autorisés à monter à bord du Phoenix , Charles et Carver saluèrent le commandant et rejoignirent Malcolm Murray, penché sur la grande écoutille. L'architecte surveillait la manœuvre du palan qui levait les caisses de la cale. Il se montra plus amical et plus jovial avec Charles qu'avec le major, expliquant qu'il rapportait d'Angleterre de quoi meubler sa maison et décorer ses murs.
– Mon père, oubliant le passé, enchanté de me voir marié, m'a permis de folles dépenses. Je rapporte des meubles, des objets fragiles, dont un service de verres de Murano offert par ma mère et quelques toiles de mes amis préraphaélites. Elles vous éblouiront, affirma-t-il, en proie, comme souvent, à l'exaltation et au lyrisme, composants de sa nature.
Charles, que le vêtement de Malcolm intriguait, porta familièrement la main sur la manche du manteau pour tâter le tissu. Il reçut de son ami retrouvé une vigoureuse tape sur l'épaule.
– Vous aurez le même, Charles. C'est mon cadeau. Il doit se trouver dans une de ces caisses. Ce nouveau manteau imperméable fait fureur à Londres, les officiers de la garde et même le prince de Galles l'ont adopté. C'est un drapier, Thomas Burberry, qui tisse cette gabardine de coton huilé. Elle a d'abord servi à confectionner les houppelandes des bergers avant que le tailleur n'ait eu l'idée d'en faire des manteaux élégants, doublés de tartan. C'est léger et d'une parfaite protection contre la pluie, expliqua l'architecte entre deux ordres donnés aux débardeurs.
Suivant le vœu exprimé par lord Simon, tous les familiers se retrouvèrent le soir même à Cornfield Manor autour des arrivants. Les effusions furent nombreuses, ponctuées d'exclamations et de rires : ambiance joyeuse et même un rien folâtre, comme souvent lors de retrouvailles rassurantes. La traversée de l'Atlantique et les déplacements en chemin de fer à travers l'Angleterre et la France, où s'étaient rendus les Bahamiens, avaient comporté plus d'aléas que de risques.
– Ceux qui restent au pays s'exagèrent souvent les dangers encourus par les absents, dit lord Simon à ses amis, qui avouaient s'être souciés de leur sort.
Lady Lamia, Ounca Lou, les époux Russell et leurs
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