Retour à Soledad
prévoir la date de notre arrivée à Soledad. L'escale de lord Simon s'étant ici prolongée, nous risquons de rencontrer une mer grosse, des vents variables et les grains, fréquents en cette saison, dans les approches de l'archipel. »
Déjà les premiers orages tropicaux préludaient aux ouragans, attendus et redoutés aux Bahamas entre août et octobre. Le fait que Colson indiquât que lord Simon avait prolongé son escale à New York, sans doute pour y traiter quelques affaires avec son cousin Jeffrey T. Cornfield, donnait à entendre que les risques encourus par le Phoenix ne seraient pas imputables à son commandant.
Il fallait être prêt à accueillir, suivant un protocole établi depuis des années, lord Simon et les siens, absents de Soledad depuis dix mois. Aussi, dès réception du message de Colson, on se mit au travail.
La vieille route qui conduisait du port occidental au Cornfieldshire, rectifiée et dallée par les soins de Charles Desteyrac, venait d'être achevée. Elle gravissait maintenant en courbes balancées le flanc de la colline, entre des haies enfin disciplinées où alternaient hibiscus, laurier-rose et sureau jaune, sous les grands palmiers argentés et de jeunes flamboyants qui grandiraient au fil des étés.
Le quai principal élargi et, lui aussi, depuis peu dallé, fut débarrassé de tout ce qui l'encombrait habituellement, barques, quilles en l'air, en cours de calfatage, filets tendus sur des perches, nasses à langoustes, engins de pêche, casiers, madriers et cordages. Après lavage, les pavillons de signaux retrouvèrent leurs franches couleurs pour le grand pavois que l'on hisserait sur tous les bateaux de la flottille Cornfield afin de saluer le retour du maître de l'île. Philip Rodney, le commandant du Centaur , veilla à ce que les défenses, vieux cordages débités en tronçons et ensachés dans des pièces de toile prélevées sur des voiles réformées, soient suspendues contre le quai pour protéger la coque du Phoenix du frottement au moment de l'accostage.
Les préparatifs terminés, on attendit que les guetteurs, qui se relayaient jour et nuit à Pirates Tower, au nord-est de l'île, signalent l'apparition, entre Eleuthera et Cat Island, du vaisseau amiral.
Chaque soir, au Loyalists Club, les habitués s'interrogeaient, supputant la date d'arrivée du Phoenix et les changements que le retour de lord Simon ne manqueraient pas d'apporter dans la vie insulaire.
– L'honorable Malcolm Cuthbert Murray et son épouse devront sans doute loger à Cornfield Manor, puisque leur étrange demeure n'est pas encore habitable, n'est-ce pas ? demanda le docteur Albert Weston Clarke, s'adressant à Charles.
L'ingénieur avait en effet dirigé les travaux de gros œuvre de la maison dessinée par Malcolm dans le style des villas vénitiennes des bords de la Brenta.
– C'est en tout cas ce qui est prévu. Murray me l'a écrit de Londres. Il ne veut confier à personne l'installation et la décoration de son intérieur, dit Desteyrac.
– Vaudrait mieux que la cohabitation du couple avec mon ami Simon ne se prolongeât pas au-delà de quelques semaines, grommela le major Carver.
– Notre lord a en effet horreur qu'on bouscule ses habitudes. Il s'insurgeait déjà quand son neveu se faisait servir des repas à n'importe quelle heure, commenta Weston Clarke.
Edward Carver se tourna vers Charles.
– Le fait que, depuis la naissance de votre fils, lady Lamia loge à Cornfield Manor, sera déjà cause de frictions domestiques. Bien que réconcilié avec sa sœur grâce à votre pont, véritable arche d'alliance entre Soledad et Buena Vista, Simon est loin d'approuver son mode de vie, encore moins sa façon de penser, dit le major Carver.
– Et puis, notre chère Otti ne sera pas en reste de fantaisies, ce qui mettra un peu de sel dans la vie quotidienne assez routinière du manoir, renchérit Uncle Dave.
– Attendons-nous donc à quelques agacements de part et d'autre, ajouta le major.
– Je m'efforcerai d'occuper l'esprit de lord Simon. J'ai à lui soumettre un tas de projets qui nous obligeront à des déplacements sur notre île et sans doute sur d'autres, dit Charles pour conclure d'une façon rassurante.
Chez les Desteyrac, Ounca Lou s'inquiétait parfois de l'attitude qu'aurait, à son égard et devant le berceau de Pacal, sa demi-sœur Ottilia.
– Elle est tellement
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