Révolution française Tome 2
marécage et
que lorsqu’il réclame l’indulgence, qu’il demande qu’on « économise le
sang », qu’on « pose la barrière », c’est pour lui et ses amis
qu’il souhaite la clémence.
Alors il élève encore la voix :
« Vous serez étonné quand je vous ferai connaître ma
vie privée. »
Il n’a pas de fortune colossale, clame-t-il.
« Je défie les malveillants de fournir contre moi la
preuve d’aucun crime ! Tous leurs efforts ne pourront m’ébranler ! Je
veux rester debout avec le peuple ! Vous me jugerez en sa présence !
« Je ne déchirerai pas plus la page de mon histoire que
vous ne déchirerez les pages de la vôtre, qui doivent immortaliser les fastes
de la liberté ! »
Il s’époumone mais il sent qu’il ne convainc pas. Les
hébertistes continuent de le huer et de ricaner.
Les citoyens entassés dans les tribunes ne l’applaudissent
pas. Danton s’irrite, parle si vite que les secrétaires qui prennent en note
son discours ne peuvent le suivre.
Et tout à coup, Robespierre se lève.
Maximilien, la chevelure poudrée soigneusement peignée, tirée
en arrière, porte une veste brune à revers blancs rayés de rouge, le cou serré
par le nœud bouffant d’une cravate de dentelle blanche.
Maximilien Robespierre commence à parler d’une voix détachée,
où pointent l’ironie, la condescendance, et même le fiel :
« Je me trompe peut-être sur Danton, mais vu dans sa
famille, il ne mérite que des éloges… »
Puis il dresse la liste des erreurs de Danton à propos de
Dumouriez, de Brissot, des « affaires ».
L’acte d’accusation est ainsi tapi derrière l’apparente
solidarité.
Car tout cela, ajoute Maximilien, ne fait pas de Danton un
traître. Il a servi avec zèle la patrie.
Puis l’incorruptible se tourne vers Danton :
« Danton, ne sais-tu pas que plus un homme a de courage
et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s’attachent à sa perte ?
Danton veut qu’on le juge ? Il a raison ! Qu’on me juge aussi. Qu’ils
se présentent, ces hommes qui sont plus patriotes que nous ! Que ceux qui
ont quelque reproche à lui faire demandent la parole ! »
Personne ne bouge.
« Je demande à ces bons patriotes de ne plus souffrir
qu’on dénigre Danton », conclut Robespierre.
Et le sang des hommes continue à couler.
Dans les rues et sur les places de Commune-Affranchie – la
ci-devant Lyon –, de Bec-d’Ambès, la ci-devant Bordeaux.
Et l’« indulgence » prônée par Danton ne rencontre
aucun écho chez Saint-Just, Couthon, Collot d’Herbois, et autres membres du
Comité de salut public, ou du Comité de sûreté générale chargé de la police
générale de l’intérieur.
Le gouvernement révolutionnaire, dit Saint-Just, « n’est
autre chose que la justice favorable au peuple et terrible à ses ennemis !
« Celui qui s’est montré l’ennemi de son pays ne peut y
être propriétaire. Celui-là seul a des droits dans notre patrie qui a coopéré à
l’affranchir. »
Selon Couthon, « l’indulgence serait atroce et la
clémence parricide ». Il faut une « police sévère, ajoute Saint-Just.
Ce qui constitue la République c’est la destruction totale de ce qui lui est
opposé. »
Et Robespierre se place uniquement du point de vue de l’utilité
lorsqu’il dit :
« La punition de cent coupables obscurs et subalternes
est moins utile à la liberté que le supplice d’un chef de conspiration. »
On pousse vers le couperet la comtesse du Barry, la dernière
maîtresse de Louis XV.
Elle a servi d’agent de liaison, de 1791 au printemps 1793, entre
les royalistes et les Anglais.
Elle vit depuis retirée dans son château de Louveciennes. On
l’arrête, mais devant la protestation de tous les habitants du bourg, on la relâche.
Appréhendée de nouveau début décembre, elle est exécutée le
8 décembre 1793.
Chaque citoyen sait qu’il peut devenir suspect, et qu’il est
placé sous la surveillance des agents du Comité de sûreté dont les membres, tels
Amar – un avocat devenu député à la Convention et montagnard – ou Vadier – lui
aussi conventionnel et montagnard –, sont déterminés, impitoyables, prêts à
faire arrêter un conventionnel accusé par une simple lettre anonyme.
Ils sont à l’affût. Ils interceptent les correspondances.
Le libraire Ruault ne communique plus avec son frère qu’en
confiant ses lettres à des voyageurs.
« Je
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