Révolution française Tome 2
doit dans cette guerre échapper à
la surveillance, à la discipline.
Les représentants en mission vont avec des pouvoirs décuplés
dans les départements et aux armées.
« Généraux, martèlent-ils, le temps de la désobéissance
est passé. »
Et les officiers, quel que soit leur grade, leur sont soumis.
Les représentants décident des promotions.
Ils font confiance aux jeunes officiers.
Hoche libère l’Alsace, entre à Wissembourg, cependant que
Desaix chasse les Autrichiens de Lauterbourg. Et les troupes de Hoche se
lancent à l’assaut au cri de « Landau ou la mort ».
À l’armée d’Italie qui assiège Toulon toujours aux mains des
royalistes, des Anglais et des Espagnols, les représentants en mission Saliceti,
Gasparin, Barras, Fréron et le propre frère de Robespierre, Augustin, ont
imposé le remplacement du général Carteaux, fier seulement d’avoir le 10 août
1792 entraîné ses camarades gendarmes à rejoindre le peuple dans l’assaut des
Tuileries.
Aujourd’hui, cela ne suffit plus.
Ils nomment le général Dugommier puis, à la tête de l’artillerie,
ce jeune capitaine Napoléon Bonaparte qui est d’esprit jacobin, mais qui
surtout se dit capable de conquérir le fort de l’Éguillette qui commande les
deux rades de Toulon.
Ils observent ce Corse maigre au teint bistre, ardent, qui
répète que c’est « l’artillerie qui prend les places et que l’infanterie y
prête son aide ». Et qui fait élever des batteries qu’il nomme Convention,
Sans-culotte. Et les forts tenus par les Anglais tombent.
Bonaparte prend part avec les fantassins aux assauts, en
criant « Victoire à la baïonnette ! ». Puis, la ville tombée, il
laisse les représentants Barras et Fréron organiser le pillage, les
destructions, les exécutions par centaines. Cependant que les forçats qui ont
brisé leurs chaînes se répandent dans la ville, la ci-devant Toulon, devenue
Port-la-Montagne.
Le 22 décembre 1793, le représentant en mission Saliceti
annonce à Napoléon Bonaparte qu’il est élevé au grade de général de brigade,
« à cause du zèle et de l’intelligence dont il a donné les preuves en
contribuant à la reddition de la ville rebelle ».
N’est-ce pas le moment, puisque la République a réussi à
repousser les ennemis, à les vaincre, qu’elle a reconquis les villes rebelles, les
ci-devant Bordeaux, Lyon, Marseille, Toulon, devenues Bec-d’Ambès, Commune-Affranchie,
Ville-sans-Nom, Port-la-Montagne, et toutes livrées aux « épurateurs »,
de pratiquer la politique de l’indulgence, de la clémence ?
C’est ce qu’écrit Camille Desmoulins dans le nouveau journal
qu’il lance et qu’il intitule Le Vieux Cordelier.
N’est-il pas, lui, l’un des plus anciens patriotes ? N’a-t-il
pas tant de fois pris la parole, agrippé aux grilles des jardins du
Palais-Royal, appelé à l’insurrection dès 1789 ?
N’est-il pas temps, répète-t-il au cours de ce mois de
décembre 1793, de mettre en œuvre la Liberté, au lieu d’en renvoyer l’usage à
plus tard, et de continuer à suspecter, à réprimer, à tuer ?
Il ose écrire :
« Ouvrez les prisons à ces deux cent mille citoyens que
vous appelez suspects, car dans la Déclaration des droits il n’y a point de
maisons de suspicion, il n’y a que des maisons d’arrêt. Le soupçon n’a point de
prison mais l’accusateur public… Vous voulez exterminer tous vos ennemis par la
guillotine ! Mais y eut-il jamais plus grande folie ? »
Il faut du courage, de la témérité même, pour affronter la
meute des hébertistes, enragés car la Convention a décrété d’arrestation deux d’entre
eux, le général Ronsin et Vincent, du ministère de la Guerre. Et depuis, les « ultra-révolutionnaires »
réclament leur libération, s’en prennent à ce Desmoulins qui n’est que la plume
de Danton.
« Ce n’est qu’un bourriquet à longues oreilles, il
paraît, foutu ! qu’il veut gagner son avoine… C’est un misérable
intrigateur, un fripon, un faux patriote… Il y a gros que Milord Pitt est
encore derrière la toile. Patience, avec le temps tous les brouillards de la
Tamise se dissiperont et nous verrons à nu tous les personnages, foutre ! »
Mais Desmoulins s’obstine.
« Que les imbéciles et les fripons m’appellent modéré s’ils
le veulent. Je ne rougis point de n’être pas plus enragé que Brutus qui conseillait
à Cicéron d’en finir avec les
Weitere Kostenlose Bücher