Révolution française Tome 2
le club des Cordeliers.
Et on dévoile la Déclaration des droits.
Mais cette « entente » ne dure que quelques heures.
Robespierre reparaît, plus pâle encore, mais le visage et la
voix acérés. C’est une lame.
Et Saint-Just intervient, dénonçant les « factions de l’étranger
et la conjuration ourdie par elles dans la République française pour détruire
le gouvernement républicain par la corruption et affamer Paris ».
Il critique les « sociétés populaires » autrefois « temple
de l’égalité ». Mais depuis « il y a dans ces sociétés trop de
fonctionnaires, trop de citoyens, le peuple y est nul ».
Pourquoi dès lors les réunions, suivre leurs débats ? Il
faut simplement soutenir les Comités, le gouvernement révolutionnaire.
« Les factions sont un crime. Il ne faut point de parti
dans un État libre… Il y a dans Paris un parti, des placards royalistes, l’insolence
des étrangers et des nobles. »
Saint-Just s’interrompt, se tourne vers Robespierre, comme s’il
quêtait une approbation.
L’un et l’autre ont la même pâleur, Saint-Just moins apprêté,
juvénile, Robespierre guindé, comme si son apparence et son corps étaient aussi
« incorruptibles ».
« Tous les complots sont unis, reprend Saint-Just, ce
sont les vagues qui semblent se fuir, se mêlent cependant. La faction des
Indulgents qui veulent sauver les criminels et la faction de l’étranger qui se
montre hurlante, qui tourne la sévérité contre les défenseurs du peuple.
« Mais toutes ces factions se retrouvent la nuit pour
concerter leurs attentats ou se combattre, pour que l’opinion se partage entre
elles, ensuite, pour étouffer la liberté entre deux crimes. Ultras et
Indulgents sont les deux faces d’un unique complot. »
Dans la nuit du 13 mars 1794 (23 ventôse an II), Hébert, Vincent,
Momoro, Ronsin et d’autres Cordeliers sont arrêtés. Ni la Commune, avec
Chaumette, ni la garde nationale commandée par Hanriot ne protestent.
Elles refusent d’entrer en insurrection contre les Comités
de salut public et de sûreté générale.
Et le peuple des sans-culottes, épuisé, affamé, sceptique et
stupéfait, préoccupé de trouver chaque jour des « subsistances », n’a
plus la force de se lever.
Il se défie aussi de ces « bavards » qui font
souvent bombance alors qu’il crève de faim.
Ces luttes entre les factions parisiennes fascinent les
cours d’Europe. On veut y voir l’annonce de la fin de la poussée
révolutionnaire.
On commente avec passion le livre que vient de publier le
publiciste genevois Mallet du Pan.
Il a vécu à Paris, entre 1782 et 1792, et collaboré
régulièrement au Mercure de France. Monarchiste « constitutionnel »,
il a conseillé Louis XVI et s’est réfugié à Berne, avant la prise des Tuileries,
le 10 août, mais il continue d’observer les événements qui secouent la France
et bouleversent toute l’Europe.
Son livre, Considérations sur la nature de la Révolution
de France , affirme que sur les ruines de l’Ancien Régime, le pouvoir est à
prendre à Paris.
Aucune des factions en présence, celles des sans-culottes, qu’ils
soient indulgents ou ultra-révolutionnaires, celles des royalistes, appuyées ou
non par les émigrés et le clergé, ne peuvent réussir à s’emparer du pouvoir.
Elles s’entredévoreront.
Le pouvoir tombera donc nécessairement entre les mains d’un
général, qui brandira le glaive victorieux et rétablira l’ordre auquel aspirent
les citoyens de ce pays, après plus de cinq années de troubles incessants.
En France, au printemps 1794, rares sont ceux qui ont le
loisir de lire le livre de Mallet du Pan et de réfléchir à sa prophétie.
11.
Survivre, jour après jour, et non penser à l’avenir lointain,
voilà ce qui obsède et angoisse le citoyen, en l’an II de la République.
On a faim.
Devant quelle boulangerie, quelle boucherie faudrait-il s’attrouper,
attendre plusieurs heures, pour espérer acheter une boule de pain, une livre de
bœuf ?
Dans les queues, on ne tourne même pas la tête pour voir
passer les charrettes qui conduisent les inculpés vers le Tribunal
révolutionnaire, installé au Palais de justice dans l’ancienne grand-chambre du
Parlement qu’on appelle « salle de la Liberté ».
Quelles prochaines têtes l’accusateur public
Fouquier-Tinville destinera-t-il au « rasoir national » ?
Parfois, on s’aventure dans
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