Révolution française Tome 2
la salle du Tribunal.
On se tient coi. Les citoyens qui assistent aux audiences
sont surveillés par des gardes nationaux, des argousins, et si l’on manifeste
on est vite saisi et livré séance tenante à Herman ou à Dumas, les présidents
robespierristes du Tribunal.
Mais c’est Fouquier-Tinville qu’on craint.
Il fascine, avec ses sourcils fournis qui cachent presque de
petits yeux brillants. Il est pâle, vêtu de noir, mais il a l’air goguenard, il
plaisante, et cela effraie plus encore. Il est avide d’interroger, de requérir
contre un accusé. Il s’attache à ses proies, les surprend par ses bons mots, ses
sarcasmes, et tout à coup devient furieux lorsqu’on « lui fait péter une
affaire dans les mains ».
Il veut pousser les têtes à la fenêtre « afin qu’elles
roulent dans le sac ».
Et les « suspects », c’est-à-dire pour le Tribunal
révolutionnaire les « accusés » et donc les « coupables », ne
manquent pas.
Les Cordeliers arrêtés le 13 mars ont été conduits dans les
prisons surpeuplées, où sont enfermés six mille deux cent quarante-sept détenus.
Mais certains prisonniers vivent cachés.
Danton a placé parmi les gardiens, les concierges, des
hommes qui lui sont dévoués, auxquels il recommande tel ou tel détenu, ainsi ce
Beugnot, un modéré, qu’on vient d’arrêter et qui, placé dans la cellule du
Girondin Clavière, a vu celui-ci se poignarder sous ses yeux.
Danton veut le protéger, en ces lendemains d’arrestation des
Cordeliers, il imagine, il craint que les partisans d’Hébert et de Momoro n’envahissent
les prisons, ne massacrent les « suspects », comme en septembre 1792.
« Si, ce qui est possible, dit Danton au concierge de
la prison, il survenait encore une attaque contre votre prison, faites
descendre Beugnot et enfermez-le dans votre cuisine, puis dès que vous l’aurez
belle, donnez-lui la clef des champs. »
Mais pas un sans-culotte ne se portera au secours d’Hébert
et des autres Cordeliers.
Hébert qu’on admirait, dont, tant qu’il était libre, on
craignait l’influence et les colères, le pouvoir du Père Duchesne , n’est
plus le lendemain de son arrestation qu’un homme sur lequel les journalistes à
gages, au service du Comité de salut public ou du Comité de sûreté générale, déversent
un tombereau d’immondices.
Le journaliste Dusaulchoy qui a toujours servi les puissants
— de La Fayette à Brissot et pour l’heure Robespierre – est le plus
acharné à calomnier, volant même à Hébert son style.
« Hébert est un filou, la mèche de tous les complots, écrit-il,
un démoniaque, un grand fripon, un escogriffe, un chenapan, bientôt le rasoir
national lui fera la barbe d’une bonne manière… car le dessous des cartes est
enfin découvert ; les guinées d’Angleterre, les florins de l’Autriche, procuraient
toutes ces braveries à ces drôles devenus si pimpants, tenant toujours table
ouverte comme de ci-devant fermiers généraux. »
Ce journaliste aux ordres n’est que le porte-parole des
Comités et de Robespierre.
Il invite les citoyens à se « rallier tous à la
Convention nationale ».
« C’est là, foutre, le centre où tout doit aboutir. »
Et pour mieux détruire la popularité d’Hébert, il rapporte
que « le bougre avait dans sa cave une provision de porc salé, avec cela
il riait, il s’en donnait à cœur joie, tandis que nous foutions la faim… ».
Et il n’hésite pas à évoquer l’épouse d’Hébert, une ancienne
religieuse.
« C’est sa Jacqueline qu’il fallait voir, écrit
Dusaulchoy. Imaginez-vous une sacrée nonne défroquée, laide comme le péché
mortel, méchante, acariâtre, insolente, en un mot l’excrément de la nature.
« C’était, foutre, de voir cette pisseuse-là, endimanchée,
comme elle se rengorgeait avec des dentelles aussi belles que celles qu’avait
la défunte veuve Capet.
« Cette mijaurée a été aussi claquemurée de même que
Monsieur son mari, et vantez-vous citoyens, que la bonne dame pourra bien faire
une visite à Sainte Guillotine… »
Un tel article de commande annonce un procès conclu avant d’avoir
été ouvert, comme l’avait été celui des Girondins.
Il durera du 21 mars au 24 mars 1794 (du 1 er au 4
germinal an II).
Sur les bancs du Tribunal se pressent, assis côte à côte, vingt
accusés, habilement « amalgamés » : Hébert et les Cordeliers, Momoro,
Vincent, Ronsin
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