Révolution française Tome 2
sûreté
générale, et Robert Lindet, chargé des questions d’approvisionnement au sein du
Comité de salut public, ont refusé de signer.
L’un et l’autre avaient averti Danton de la menace qui
pesait sur lui. En vain.
Lindet, en repoussant la feuille de signature, dit, fièrement,
sachant qu’il risque sa vie :
« Je suis ici pour nourrir les citoyens et non pour
tuer les patriotes. »
On arrête Danton le 10 germinal an II (30 mars 1794) à six
heures du matin.
Il a passé la nuit « près du foyer, dans sa chambre de
travail, le corps penché dans l’âtre, abîmé dans ses réflexions. De temps à
autre il sort de son immobilité pour tisonner avec violence, puis on l’entend
pousser de profonds soupirs et prononcer des paroles entrecoupées. D’autres
fois il se relève brusquement, se promène à grands pas dans la chambre. »
Peut-être pense-t-il que le Tribunal révolutionnaire n’osera
pas le condamner, lui l’homme du 10 août 1792, et qu’on ne pourra non plus
accuser Camille Desmoulins, l’homme du 14 juillet, dont les discours prononcés
au Palais-Royal enflammaient les foules.
Et Danton comme Camille Desmoulins et les autres dantonistes,
Delacroix, Philippeaux, se laissent arrêter sans résistance.
Paris, stupéfait, apprenant la nouvelle, ne bouge pas.
Quelques conventionnels tentent de rassembler les députés. Legendre
monte à la tribune de la Convention, demande que Danton et ses amis soient
entendus par l’Assemblée :
« Je crois Danton aussi pur que moi, dit-il. Le 10 août,
l’ennemi était aux portes de Paris. Danton vint et ses idées sauvèrent la patrie… »
Murmures, émotion, quelques remous dans les travées
peut-être lancés contre Robespierre. Mais l’incorruptible gagne la tribune, et
d’une voix glacée lance :
« Il s’agit de savoir si aujourd’hui quelques hommes
doivent l’emporter sur la patrie… Nous verrons si dans ce jour la Convention
saura briser une prétendue idole pourrie depuis longtemps ou si, dans sa chute,
elle écrasera la Convention et le peuple français. »
Robespierre fixe Legendre :
« Je dis que quiconque tremble est coupable car jamais l’innocence
ne redoute la surveillance publique. »
QUATRIÈME PARTIE
1 er avril 1794 – 27juillet 1794
12
germinal – 9-10 thermidor an II
« L’échafaud te réclame »
« Infâme Robespierre, l’échafaud
te réclame, tu me suis.
Peuple, je mourrai digne de
toi… »
Danton
à son procès 13-16
germinal an II (2-5 avril 1794)
« La Révolution est
glacée. Tous les principes sont affaiblis.
Il ne reste que des bonnets
rouges portés par l’intrigue.
« L’exercice de la
terreur a blasé le crime
comme les liqueurs fortes
blasent le palais. »
Saint-Just, Carnets printemps de l’an
II
« Je suis fait pour
combattre le crime, non pour le gouverner.
Je leur lègue la vérité
terrible et la mort. »
Maximilien Robespierre, Discours à la Convention
8 thermidor an II (26 juillet
1794)
12.
En ces premiers jours du mois d’avril 1794, note un
bourgeois parisien, « il fait de la pluie et chaud, et après des
bourrasques, le ciel lavé est d’un bleu étincelant. Tous les arbres sont en
fleurs et tous les jardins et tous les arbres non fruitiers sont en feuilles. Il
y a bien des années qu’on n’a vu l’année si avancée. »
Jamais mois qui commence n’a si bien porté son nom
révolutionnaire, germinal.
Et pourtant les citoyens, au lieu d’être à l’unisson de la
légèreté vivace de ce printemps joyeux, sont mornes.
Un indicateur de police rapporte au Comité de sûreté
générale qu’à l’annonce de l’arrestation de Danton, de Camille Desmoulins et de
leurs amis, on dit dans la queue qui s’allonge devant une boulangerie :
« Marat a été bienheureux d’être assassiné car il
aurait été guillotiné comme les autres. »
Il y a quelques jours Hébert et les Cordeliers ont été
décapités, et demain, qui peut en douter, Danton et les siens le seront.
Et quels autres encore, après ceux-là, seront livrés à la « vengeresse
du peuple », et, col de la chemise déchiré, cheveux coupés, seront
attachés sur la planche, offrant leurs nuques dénudées au « rasoir
national », à l’« aimable guillotine », à la « main chaude » ?
On ne prononce pas ces commentaires et ces questions à haute
voix. On les chuchote.
On craint les mouchards, les
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