Ridicule
qu’il n’était plus possible qu’il passât pour de l’ironie. Mathilde le laissa poser ses mains sur ses épaules.
— Votre raison est à toute épreuve, Mathilde. J’essayerai d’être sans détour à l’avenir.
Il l’embrassa avec une passion longtemps retenue, à laquelle Mathilde s’abandonna sans honte. Elle oublia l’empreinte des sensations, le fluide subtil des nerfs et l’organe des sentiments. Elle chavira dans les bras de son amant avec des mots d’amour très simples, dont elle n’aurait jamais soupçonné la saveur.
À la nuit tombante, Mathilde trouva son père dans son laboratoire. Leurs relations avaient toujours été empreintes de pudeur et de retenue. La liberté que le marquis avait résolu de toujours lui laisser avait imposé une distance entre eux, et elle voulait soudain lui dire qu’elle l’aimait, et qu’il avait été le meilleur père du monde. Bellegarde rangeait des instruments de chirurgie dans sa trousse quand elle entra.
— Pourquoi ces instruments, monsieur ? demanda-t-elle, car ils ne servaient que rarement, son père n’étant plus chirurgien depuis qu’il avait quitté le service.
— J’assiste à un duel demain, répondit le marquis. Il ajouta : Ponceludon et le colonel de Chevernoy.
Mathilde eut une défaillance. Son père se précipita pour la secourir, mais elle était déjà réveillée et en larmes.
La comtesse de Blayac suppliait son amant de ne pas exposer sa vie, agenouillée au pied du fauteuil où Ponceludon était en proie à une mélancolie morose. Il ne l’écoutait pas, ne songeant qu’à Mathilde, à son bonheur de l’avoir aimée, à son malheur de devoir quitter la vie au moment où tout était possible.
— S’il vous arrivait malheur, j’en mourrais, implorait la comtesse.
Ponceludon, du fond de ses pensées, jeta un regard étonné sur cette femme fière qui s’abaissait à le supplier. Sans doute fallait-il qu’elle l’aimât, à sa manière, pour verser ces larmes.
— Fuyez ! Allez à Saint-Bauzile où j’ai une demeure, je vous y rejoindrai.
Le jeune homme restait silencieux.
— Si vous ne le faites pas pour moi, continuat-elle, faites-le pour vos paysans... Vous devez vivre pour eux.
— Faites faire mon bagage, je vous prie, finit par dire Ponceludon.
Soulagée, elle laissa tomber sa tête sur les genoux de son amant, et mêla des rires à ses pleurs.
— Victor va atteler la voiture, murmura-t-elle. Vous ne reviendrez que pour votre rendez-vous avec le roi.
Le soir, Ponceludon écrivit trois lettres : une pour Mathilde et une pour sa mère, qu’elles ne recevraient que s’il était tué. La troisième était pour la comtesse, et sa destinataire n’était pas soumise à cet aléa.
Madame,
Si je suis tué, faites porter mon chapeau et mes éperons à ma mère, et donnez le reste à vos pauvres, à l’exception bien sûr des habits de cour qui ajouteraient le ridicule à leurs malheurs.
L’amant intrigant et causeur venimeux finirait donc écervelé par un coup de pistolet ? J’ignore quelle morale on en pourrait tirer. Veut-être mon tort est-il d’avoir jugé que des fruits sains naîtraient d’un arbre pourri.
Pour l’amant, il ne regrette rien. Je rends grâce à ma passion courtisane de vous avoir connue, et si vous avez gâché un peu de votre crédit pour mes affaires, le souvenir de vous m’aura du moins préservé de l’amertume.
Nous nous sommes livrés sans passion et nous nous quittons sans regret, mais j’ose croire, Madame, qu’entre les deux la volupté laissa un peu de place à l’amitié.
Grégoire Ponceludon de Malavoy
Une heure avant le lever du jour, Victor avait pris les rênes de la voiture qui emportait Ponceludon vers Saint-Bauzile.
Le jeune homme regardait pensivement les arbres noirs courir sur le ciel blême, jusqu’à ce que la voiture parvienne au pont qui enjambe la Bièvre. Il cogna la paroi du pommeau de sa canne pour arrêter la voiture, et se pencha par la fenêtre.
— Victor ! Arrête-moi là. Je ne vais pas plus loin.
Les chevaux s’immobilisèrent.
Il déposa sur la banquette une enveloppe au nom d’Amélie de Blayac, puis descendit.
— Mais... Madame a dit de vous emmener à Saint-Bauzile ! s’étonna Victor.
Ponceludon lui tendit une pièce.
Voilà pour ta peine.
La voiture disparue, il coupa à travers champs, en direction du lieu de rendez-vous. Il lui restait quelques minutes avant l’heure fixée pour le duel,
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