Ridicule
est avec toi ? demanda-t-elle.
— Non madame. Il a quitté le pré avec Mlle de Bellegarde.
Amélie de Blayac, aveuglée par l’angoisse que lui inspirait le duel, n’avait pas lu la lettre de son amant comme une lettre d’adieu, mais comme le testament d’un jeune homme qui pensait mourir. Elle l’avait pourtant lue cent fois, et diluée de larmes en plusieurs endroits. Son premier geste fut de reprendre la lettre. Elle y découvrit alors sans doute possible qu’elle avait été quittée depuis la veille, et qu’elle avait tremblé et pleuré la nuit durant pour un amant qui ne lui appartenait déjà plus. D’un revers de main rageur, elle balaya les cartes devant elle. Illusion très commune, elle crut être humiliée, quand elle était éplorée. On entendit alors des hennissements de chevaux et dés claquements de portières dehors.
— Quels sont ces bruits de voiture ? s’inquiétat-elle.
— Des visites, madame. La comtesse de Blancfagot, le chevalier de Milletail, le vicomte de Malenval...
— Déjà ? Ils viennent au spectacle me voir souffrir ! dit-elle rayonnant de colère. Eh bien, dis-leur que je suis souffrante !
Les visiteurs furent éconduits au bas de l’escalier et durent regagner leur carrosse, sans même être priés pour le lendemain, comme l’aurait voulu le bon usage.
— Et si c’était la petite vérole ? s’émut Mme de Blancfagot une fois qu’ils eurent regagné la voiture.
— Non, madame, répondit Milletail. C’est l’honneur d’une femme bafoué par un rustaud.
— Un rustaud dont le roi s’est entiché, renchérit aigrement Malenval. Bientôt vous verrez que c’est lui qui nous recevra !
— Il vient de faire un faux pas, remarqua Milletail. Je connais la comtesse.
— Chez moi, quand un chien est enragé, on sonne le tocsin, répondit pensivement Malenval, et il frappa trois coups contre la paroi de la voiture qui tardait à partir.
Ponceludon fit reprendre sa malle chez la comtesse, et s’installa à nouveau chez Bellegarde. Pendant ce second séjour, Charlotte n’eut pas à faire son lit une seule fois, parce qu’il ne fut jamais défait. Le marquis écrivit à Éléonore Ponceludon de Malavoy pour l’inviter à séjourner chez lui le temps qu’il lui plairait. Il avait l’idée secrète de proposer à la mère de son futur gendre d’établir les enfants près de Versailles, tant il était convaincu que Ponceludon, avec ses dispositions, était appelé à une brillante carrière.
Un beau matin, Mathilde et Ponceludon transportèrent l’habit hydrostatergique et le matériel dans une charrette, jusqu’à l’étang. Ponceludon revêtit l’habit et s’encorda, puis Mathilde le coiffa du casque. L’odeur de graisse était suffocante et la sensation d’enfermement oppressante, mais la promesse du royaume des algues et des herbes aquatiques lui faisait battre le coeur. Il connaissait bien sûr cette végétation, pour avoir grandi au milieu d’étangs régulièrement mis en assec, mais ce qu’il avait vu là-bas était une macération verdâtre, chauffée par le soleil et butinée par des milliers de mouches jusqu’à devenir une infection.
Quand l’eau submergea les petits hublots en place des yeux, le jeune homme découvrit une prairie herbeuse mollement agitée par une mystérieuse brise aquatique, où des carpes grasses semblaient voler nonchalamment comme dans un rêve. Ce paysage fut obscurci par le brouillard de vase que soulevaient ses pas, et il dut s’immobiliser pour attendre que ce brouillard retombe.
Sur la berge, Mathilde actionnait précautionneusement le soufflet, selon le rythme dont ils avaient convenu au cours de leurs nombreux essais. Pour cette première immersion, ils avaient abandonné les perfectionnements respiratoires imaginés par Ponceludon pour laisser la bouche du plongeur libre de parler. Mathilde lui répondait en criant dans l’embout du tuyau de sortie d’air dont le sifflet avait été remplacé par un entonnoir.
Ponceludon s’émerveillait du paysage à nouveau purifié.
— Une tanche ! cria-t-il. Je pourrais la toucher !
Sa voix sortait de l’entonnoir, caverneux et lointain.
— Je vous aime, Grégoire ! hurla Mathilde.
Ponceludon, en voulant esquisser un petit pas de danse, eut la mauvaise surprise de ne pas pouvoir soulever ses pieds. Il s’était envasé à force d’immobilité. Un effort supplémentaire le dégagea, mais il dut se résoudre à toujours rester
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