Rive-Reine
où une révision constitutionnelle était réclamée depuis 1828 par des pétitionnaires de plus en plus nombreux et déterminés, on apprit que les Argoviens étaient, eux aussi, passés à l’action le 6 décembre. Dans ce canton, les idées libérales fermentaient depuis que les Parisiens avaient chassé Charles X du trône et obtenu le respect de la Charte, autrefois admise par Louis XVIII. Le 7 novembre, plusieurs milliers d’Argoviens, rassemblés à Wohlenschwil, avaient rappelé aux autorités leurs revendications politiques. Comme le gouvernement opposait à celles-ci une fin de non-recevoir, le tenancier de l’auberge du Cygne, à Merenschwand, s’était arrogé le droit de commander l’insurrection. Le jour de la Saint-Nicolas, six mille citoyens, rassemblés à l’appel du tocsin, avaient marché sur Aarau, derrière tambours et cloches de vache. La milice cantonale, constituée de quelques centaines d’hommes, n’avait pas opposé de résistance. Les insurgés s’étaient rendus maîtres, sans coup férir, du chef-lieu déserté par les aristocrates effrayés, qui avaient trouvé refuge à Soleure. Les membres du Petit Conseil, après avoir entendu les délégués des révoltés développer leurs exigences, s’étaient résignés à y souscrire à condition que les bruyants troupiers de Fischer regagnent leurs foyers sans plus de manières ni violences. Là encore, des élections au suffrage universel allaient être organisées, afin de former une assemblée constituante. Bon nombre d’Argoviens considéraient maintenant l’hôtelier de Merenschwand comme un nouveau Guillaume Tell 8 . Au milieu de l’allégresse générale, le plus jeune fils du héros, qui, sans effusion de sang, avait conduit une révolution, n’était-il pas venu à la rencontre de son père avec une pomme percée d’une flèche !
À Bâle, en revanche, « la belle humeur et une certaine chaleur poétique », constatées par le pasteur Bornhauser en Thurgovie, ne semblaient pas inspirer les habitants de la campagne bâloise. Les événements des cantons où s’était accompli, sans heurts sérieux, ce que les polygraphes nommaient déjà une régénération politique avaient réveillé à Bâle le conflit qui opposait, depuis le Moyen Âge, citadins et paysans. À ne considérer que les chiffres, les agriculteurs pouvaient se plaindre à juste titre d’une représentation parlementaire insuffisante. Les paysans, deux fois plus nombreux que les citadins, élisaient deux fois moins de députés au Grand Conseil. Leurs droits civiques avaient été réduits, en 1814, par rapport à ceux des gens de la ville, qui leur déniaient la possibilité de vendre librement leurs produits sur les marchés bâlois. Désespérant de voir maintenues des inégalités d’un autre âge, les gens de la campagne venaient de décider une forme de scission cantonale en créant une sorte de demi-canton autonome que dirigeait, à Liestal, un gouvernement provisoire. La Diète fédérale ne pouvait admettre cette situation et l’on s’attendait à des affrontements entre citadins – soutenus par l’armée fédérale – et paysans, déterminés à obtenir maintenant plus que la parité représentative qu’on semblait prêt à leur accorder devant le risque de guerre civile.
Comme tous les Vaudois, Axel Métaz, en cette fin d’année, suivait par les journaux et les confidences des gens informés les événements qui agitaient les cantons. Une fois la vendange rentrée, sa vie quotidienne reprenait le rythme des travaux en cours ou à prévoir dans ses vignes. C’était le premier devoir du maître de Rive-Reine. Soigner le vignoble, l’agrandir si possible, remplacer les ceps exténués par de jeunes plants, parfaire la vinification, obtenir, lors de l’inspection annuelle des parchets par les membres de l’Abbaye des vignerons, une récompense nouvelle, constituait pour le Vaudois une mission ancestrale à laquelle il était attaché.
Il devait néanmoins consacrer de plus en plus de temps à l’exploitation des carrières de Meillerie et surveiller l’acheminement régulier des pierres nécessaires aux grands travaux entrepris à Genève. Il se plaignait parfois à Louis Vuippens de ne pouvoir consacrer autant d’heures qu’avant à leurs sorties, parties de pêche sur le lac ou de chasse en Valais. Il avait le sentiment, en avançant en âge, que la fuite du temps s’accélérait, que les jours, les
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