Rive-Reine
gêne à la banque ni de préjudice aux affaires. N’était-ce pas le plus important ?
Le canton de Vaud commença, lui aussi, sa régénération, pour employer le mot alors à la mode, le 8 décembre 1830. Ce ne fut pas, comme à Genève, à l’initiative des autorités, mais à celle, plus musclée, des citoyens. Ce jour-là, une assemblée réunie au Casino de Derrière-Bourg, près de la place Saint-François, à Lausanne, définit clairement les aspirations des Vaudois. Sous les plafonds du bâtiment construit entre 1824 et 1826 par l’architecte Henri Perregaux, grâce à une souscription publique lancée par le libéral Frédéric César de La Harpe, les délégués des citoyens votèrent une motion exigeant la refonte de la Constitution cantonale.
Depuis les événements de Paris, des pétitions circulaient dans le district. L’une d’elles demandait le renouvellement intégral du Grand Conseil, c’est-à-dire des élections. Or cette consultation avait été promise le 26 mai quand, sous la pression du Conseil d’État, la « majorité compacte » du Grand Conseil, composée presque intégralement de fonctionnaires peu enclins aux réformes, avait accepté le principe d’une révision constitutionnelle, une modification du mode d’élection des conseillers, la réduction de leur mandat. Ces mesures, destinées à désarmer l’opposition libérale, n’interviendraient cependant qu’à l’expiration de la législature en cours, c’est-à-dire en 1836 ! Les révisionnistes, de plus en plus nombreux, avaient été grossièrement floués.
Frédéric César de La Harpe et Samuel Clavel, qui, depuis 1825, déposaient sans résultat des pétitions au Conseil d’État, avaient fini par obtenir, les événements parisiens donnant à réfléchir aux conservateurs, que la nouvelle loi électorale fût appliquée dès 1831, afin de permettre le renouvellement du Grand Conseil souhaité par tous. Cette nouvelle concession, au lieu de calmer les esprits, incita les chefs libéraux à penser qu’ils pourraient, dès maintenant, obtenir une révision constitutionnelle profonde. Les nouvelles pétitions aussitôt lancées réclamaient, cette fois, la convocation d’une assemblée constituante dans les meilleurs délais. Le Grand Conseil accepta d’examiner cette demande lors de sa réunion du 18 décembre et, ce jour-là, plus de six mille pétitionnaires, venus des villes et des campagnes, affluèrent à Lausanne, afin de connaître au plus tôt le sort que les magistrats entendaient réserver à leurs demandes. Ces hommes et ces femmes ne cachaient pas leur volonté d’appuyer les pétitions, signées par des milliers de citoyens, « de leur présence et de leurs bâtons au besoin ».
Axel Métaz, qui avait accompagné la délégation des pétitionnaires de Vevey, Chantenoz et Flora Baldini décidèrent de suivre la foule en badauds jusqu’à la place du Château. Sur l’esplanade, entre le château Saint-Maire, ancienne résidence des baillis bernois, devenue siège du gouvernement vaudois, et le nouveau bâtiment à fronton grec qui abritait le Grand Conseil, l’affluence ne cessait de croître depuis la veille.
Blaise de Fontsalte et Ribeyre de Béran se gardèrent de paraître, ce matin-là, dans les rues. Ils ne tenaient pas, étrangers connus, honorés et bonapartistes notoires, à donner aux Vaudois le sentiment qu’ils intervenaient, même par simple présence silencieuse, dans leurs affaires.
Une foule dense, constituée de petits groupes, où l’on discutait avec véhémence, emplissait l’esplanade et les rues adjacentes. Bien qu’une certaine bonne humeur compensât la gravité de ce rassemblement inhabituel, on sentait que ces citoyens de toutes conditions ne quitteraient pas la ville avant d’avoir obtenu la prise en considération de leurs revendications politiques. C’était jour de marché et les paysans, souvent moins informés que les citadins, venus vendre pommes de terre et poireaux, furent d’abord étonnés d’entendre sonner le tocsin et les cloches des églises comme s’il y avait le feu partout, de voir des gens planter des arbres dits de la liberté, qui, pour eux, ressemblaient à tous les autres. Harangués par les meneurs, ils finirent par suivre les colonnes derrière les tambourinaires et les jeunes gens qui faisaient tinter des cloches à vaches.
Le conseil municipal, qui siégeait en permanence depuis l’arrivée
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