Rive-Reine
lettres et récits des voyageurs, les journaux, quand ils circulaient librement.
Axel Métaz et les siens comprirent bientôt que la Suisse, où tous les événements de France connaissaient une rapide et forte répercussion, n’allait pas être épargnée par la fièvre révolutionnaire. Le bas Valais, dont les citoyens réclamaient une représentation proportionnelle à la Diète fédérale, était, depuis des mois, en effervescence. Les événements de Paris stimulaient des revendications que ceux du haut Valais n’avaient aucune envie de satisfaire. Dès qu’on signalait de l’agitation dans le canton, où se trouvait l’hospice du Grand-Saint-Bernard, Blaise de Fontsalte, comme tous les grognards, fronçait le sourcil. Et si on allait toucher au tombeau de Desaix ! Déjà, quand, l’année précédente, on avait déplacé 7 et relégué au fond de l’église le mausolée du héros de Marengo, pour faire place aux reliques de sainte Faustine, le général, indigné, avait gravi le Saint-Bernard pour faire des représentations au prieur. Les religieux avaient opposé aux pieuses récriminations du général l’inestimable cadeau du pape Léon XII. Les os d’une martyre chrétienne, extraits des catacombes par le Saint-Père et offerts à la communauté, n’avaient-ils pas prééminence, même dans une église perchée à deux mille six cents mètres d’altitude, sur ceux d’un militaire, dont personne ne garantissait qu’il avait été bon chrétien !
Résigné, Blaise était redescendu, toujours fulminant, à Lausanne. Sa colère avait augmenté quand Charlotte, qui possédait plusieurs dictionnaires des saints, s’était montrée incapable d’y découvrir une Faustine. Chantenoz, consulté, soutint que les seules Faustine de lui connues étaient trois impératrices romaines, toutes libertines : la femme d’Antonin le Pieux et ses deux filles, elles aussi nommées Faustine. L’une avait épousé Marc Aurèle, l’autre était devenue la troisième femme d’Héliogabale, après avoir tué son mari !
« Si vous voulez mon avis, général, le pape a envoyé là-haut une Faustine inconnue, sans doute de moindre rang, mais, espérons-le, de plus haute vertu ! » avait ironisé le professeur.
L’incident était oublié quand on apprit ce qui s’était passé, au mois de novembre, en Thurgovie. Le docteur Troxler invitait depuis des semaines les Thurgoviens à exiger du Grand Conseil cantonal une révision de la Constitution, qui avait supprimé, entre autres libertés, celle de la presse en 1824. Il réclamait « l’intégrité des droits populaires, car dans l’Europe entière, et plus loin encore, souffle l’esprit de la liberté ». Le 22 octobre, un jeune pasteur révolutionnaire, nommé Bornhauser, présidant un grand rassemblement révisionniste à Weinfelden, avait demandé aux élus de « délivrer le peuple de son éternelle tutelle ». Une pétition, remise le lendemain au Grand Conseil, n’ayant eu d’autre résultat que l’annulation des prochaines élections, le 8 novembre, le peuple avait envahi la salle des séances et obtenu l’élection d’une assemblée constituante, qui allait réviser la Constitution dans un sens libéral. L’affaire s’était terminée sans effusion de sang, mais on rapporta à Lausanne que, sans le sang-froid et l’autorité du pasteur Bornhauser, certains aristocrates thurgoviens auraient pu être molestés.
Fin novembre, c’est de Zurich que vint l’annonce d’une autre révolte. Les gens de la campagne réclamaient, depuis longtemps, une représentation plus équilibrée par rapport à celle des citadins, dans les assemblées cantonales. N’étant pas écoutés, ils avaient entendu ceux qui leur disaient : « Il faut faire comme à Paris et en Thurgovie. » Le 22 novembre, dix mille ouvriers et paysans, réunis sur une colline à Uster, avaient été galvanisés par le discours d’un jeune orateur de Bauma, Henri Guyer. Un médecin zurichois venu apporter la contradiction de la part des citadins, soudain séduit par les protestataires, s’était rallié au mouvement. L’adresse envoyée au gouvernement cantonal avait, cette fois, immédiatement rempli son office. Une assemblée constituante, où les paysans occuperaient deux tiers des sièges, allait être élue avec mission de préparer une nouvelle Constitution.
Tandis que les têtes commençaient à s’échauffer dans le canton de Vaud,
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