Rive-Reine
tenter d’y satisfaire par respect de la volonté dernière de M me la Marquise douairière, nous devrons obtenir l’agrément exceptionnel de la justice royale. Car, ayant reconnu Adrienne de Fontsalte en 1800, vous ne pouvez, en effet, adopter Axel Métaz, précisa l’homme de loi.
Informés par Blaise, Axel et sa mère, qui n’avaient pas assisté à l’entretien chez le notaire, eurent des réactions nuancées. Charlotte battit spontanément des mains, imaginant déjà son fils porteur du nom de Blaise. Axel se montra moins enthousiaste. Il eût souhaité satisfaire le vœu ultime d’une femme qu’il avait peu connue en ajoutant à son patronyme un nom glorieux. Malgré son envie de faire savoir à Blaise qu’il accueillait cette proposition comme un honneur, sa raison se heurtait à la reconnaissance et à l’affection filiale qu’il conservait pour Guillaume Métaz, en dépit du temps, de l’éloignement et des façons américaines de l’immigré. Comme il se taisait, hésitant à formuler une perplexité qui passerait, quoi qu’il dît, pour désobligeante, Blaise, devinant la cause de cette hésitation, intervint :
– Il est peu probable que nous puissions obtenir l’agrément nécessaire. Mais je conçois que vous ayez des scrupules et que votre nom, fort honorable, vous suffise. C’est celui d’une lignée de vignerons et de négociants intègres, connue et respectée dans tout le canton. Aussi, ne vous prononcez pas sans réflexion. Mais j’ai une chose à ajouter. Je vous ai fait, par testament, mon légataire universel, donc héritier de tous les biens, notamment la source d’eau minérale, des Fontsalte. Cet héritage vous reviendra, quel que soit le nom que vous porterez à ma mort. Ce que souhaitait ma mère, elle m’en avait parlé à plusieurs reprises depuis qu’elle vous avait vu et appré cié à Lausanne, c’est que vous soyez l’héritier de notre nom et des titres nobiliaires attachés à nos terres. En ce qui me concerne, vous devez aisément comprendre, cher Axel, qu’un père, même inopinément apparu dans la vie d’un enfant déclaré, sans qu’il le sût, fils d’un autre homme, ne peut que souhaiter laisser son nom à ce fils.
Il fut convenu qu’on reparlerait de cette affaire avant de permettre au notaire d’engager la meilleure démarche.
Pendant ces jours de deuil, Axel découvrit le Forez, sa calme plaine, cuvette en forme d’ellipse, cernée de montagnes, de collines et de plateaux granitiques. Dans ce vaste enclos, où stagnait l’air brûlant de l’été, la Loire paresseuse décrivait de larges méandres, contournant des pitons basaltiques, supports naturels des monastères et des châteaux. Le Vaudois se sentait à l’aise dans cette contrée bucolique où les troupeaux montaient, comme au pays de Vaud, paître en altitude de mai à septembre, sur les hauts chaumes, autour de ces grands abris de bergers que les Foréziens nommaient jasseries. Comme au pays d’En-Haut, on produisait dans les fermes un excellent fromage fait de lait de vache, fourmes de Montbrison ou de Saint-Anthème, grasses, veinées de bleu et moelleuses à souhait. Avec Titus, qui connaissait bien la région natale du général auquel il avait voué sa vie, Axel galopa jusqu’aux montagnes qui séparent, à l’ouest, la grande plaine forézienne de l’Auvergne. Des étangs, les pêcheurs tiraient d’énormes carpes et, par des chemins poudreux, les paysans apportaient au château leurs plus beaux fruits : cerises, fraises, pêches, abricots. Les vins, certes, ne pouvaient être comparés à ceux de Lavaux. Bien que fringants, colorés et légers, ils offusquaient, par leur acidité, le palais du vigneron vaudois.
Dans la bibliothèque du château, où il furetait souvent, Axel découvrit l’Astrée , le roman d’Honoré d’Urfé. Blaise, le voyant feuilleter un des cinq volumes, approcha.
– Vous tenez là l’édition expurgée et retouchée, en 1733, par l’abbé Souchay. La seule autorisée au collège royal de Riom, où j’ai fait mes études. Mais nous avons mieux, dit-il en entraînant son fils dans la chambre de la défunte marquise, où rien n’avait été déplacé depuis la mort de la douairière.
Blaise prit, sur une étagère, un vieux livre à reliure de cuir écornée, patinée et frappée aux armes des Fontsalte.
– Tenez, voici l’édition originale de 1612, offerte à un Fontsalte vers 1615, par
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