Rive-Reine
dit-elle.
Axel sourit et acquiesça. Il admira combien la femme sait mieux que l’homme prévoir et organiser son plaisir. Ils trouvèrent, à l’ombre d’un vieux saule, une salle à manger au bord de l’eau. Juliane pria son compagnon d’extraire du coffre, aménagé derrière les sièges du cabriolet, une manne d’où elle tira une nappe, des serviettes, des timbales et des couverts d’argent, des assiettes de porcelaine et une bouteille de limonade de M. Schweppe, breuvage fort à la mode depuis quelques années.
– Sous la banquette, vous trouverez aussi deux pliants, dit-elle.
Quand ils furent installés, Juliane déballa un pâté en croûte, des bricelets au fromage et des pommes.
– Ce sera frugal, je vous préviens, dit-elle, tandis qu’Axel allait plonger la bouteille de limonade dans l’eau pour rafraîchir la boisson.
Ils choisirent de se baigner avant d’entreprendre, ce que le Vaudois appela, plus aimable qu’ironique, « un vrai festin champêtre ».
Juliane disparut derrière le saule et revint un instant plus tard en costume de bain : tunique fermée au cou, culotte serrée au-dessous du mollet, bonnet bordé de dentelle. Le maillot d’Anicet, noir à rayures jaunes, parut à Axel exagérément moulant et il courut se jeter dans le lac comme honteux de se montrer ainsi à la jeune fille. Juliane, en revanche, avec beaucoup de naturel, avança avec précaution sur les galets et entra dans l’eau avec de petits sursauts frileux. Ils nagèrent séparément, puis se rapprochèrent, échangèrent des impressions sur la limpidité de l’eau, sa fraîcheur vivifiante et condamnèrent les ébats bruyants que prenaient, à quelque distance, d’autres baigneurs. Tout en paraissant à l’aise, ils éprouvaient l’un et l’autre la même gêne. Enrobant d’un commun fluide leurs corps peu vêtus, l’eau du Léman devenait entremetteuse quand les ondes orbiculaires, nées des gestes innocents de l’un, enlaçaient l’autre.
Ils connurent ensuite, en sortant du bain, une sorte d’euphorie enfantine. Ils rirent de se voir dégoulinants en plein soleil et Axel découvrit la grâce sculpturale de sa compagne, enrobée dans le tissu mouillé. Plaqué sur ce corps de femme, le fin coton en révélait les formes, avec indécence, sous couvert d’une dissimulation hypocrite, comme si Juliane eût été nue. Dominant un trouble inattendu et ressenti comme humiliant, l’homme tendit vivement à sa compagne une des grandes serviettes qu’elle avait préparées. Elle s’en couvrit les seins, qui, agacés par l’eau fraîche, pointaient sous le maillot.
Vêtus et gais comme des écoliers au premier jour des vacances, ils dévorèrent pâté et bricelets en se disant qu’il était bon de vivre une telle journée. Le repas terminé et les instruments du pique-nique rangés, Axel tendit la main à Juliane pour l’aider à monter dans le cabriolet et, au petit trot, ils regagnèrent la rue des Granges.
Chemin faisant, et quel qu’eût été l’agrément du moment qu’il venait de passer, Axel fut à plusieurs reprises effleuré par le sentiment d’être tombé dans les rets d’une apprentie séductrice.
– Irons-nous encore nous baigner aux Pâquis ? Ce fut si agréable ! murmura M lle Laviron, un peu mélancolique, au moment de la séparation.
– L’été ne fait que commencer, constata Axel en lui baisant les doigts.
Elle reçut ces mots comme une promesse.
1 Extrait du rapport du garde des Sceaux, M. Chantelauze, justifiant les ordonnances.
2 Cité par Jean-Paul Garnier dans Charles X , Fayard, Paris, 1967.
3 2. 3. Grades de la charbonnerie française.
4 Le rôle du 1 er régiment suisse lors des Trois Glorieuses est rapporté avec maints détails dans le remarquable ouvrage de Jérôme Bodin, les Suisses au service de la France , Albin Michel, Paris, 1988.
5 Journal et souvenirs de Gaspard Schumacher, capitaine aux Suisses de la Garde royale (1798-1830), traduits et publiés avec une introduction par Pierre d’Hugues, Arthème Fayard, Paris, 1910.
6 La colonne de Juillet, monument commémoratif élevé place de la Bastille en 1840, porte cinq cent quatre noms.
7 Le mausolée a été à nouveau déplacé en 1979. Il se trouve encore, en 2010, dans le couloir qui conduit à la bibliothèque. Quant au corps embaumé de Desaix, il serait toujours sous l’autel consacré à sainte
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