Rive-Reine
serviettes strictement alignées.
Accompagnant son fils jusqu’à Lyon, où il prendrait la diligence pour Genève, Blaise de Fontsalte se laissa aller, en conduisant le cabriolet, à d’aimables considérations sur l’activité déployée par Charlotte.
– Je crois que votre mère se plaît à Fontsalte. Elle a magnifiquement remis en état notre vieille demeure, qui est maintenant sienne. Des gouttières qui pleuraient depuis Louis XVI ont été colmatées, les huisseries ne grincent plus, les verrous glissent, les fenêtres joignent, l’argenterie, réformée depuis des lustres, reluit, les cristaux, dont j’avais oublié l’existence, étincellent et l’on peut s’asseoir sur presque tous les sièges sans risquer la chute ! Charlotte a su mettre tous nos gens à l’ouvrage, avec autorité et gentillesse. Elle dit qu’elle a encore un bon mois de travail avant que tout soit parfait, aussi ne rentrerons-nous qu’en septembre.
– Ne craignez-vous pas que tous ces gens, à qui ma mère donne chaque matin assez de besogne pour les occuper une semaine, ne se mettent à la détester ? demanda Axel.
– Votre mère plaît, car elle est sans afféterie et montre à ces gens qu’elle sait faire, elle-même, ce qu’elle leur commande. Les plus rustauds comme les moins ardents au travail ne refusent aucun effort pour la satisfaire. Ma mère, qui aimait la vôtre et savait mon incapacité à conduire une maison, m’a dit, peu d’heures avant sa mort : « Pour le train d’ici, laisse faire Charlotte. C’est une grande dame. » Car c’est la modicité des ressources paternelles qui a longtemps privé ma mère de confort et du plaisir de tenir son rang. Ce n’est guère que ces dernières années que j’ai pu, avec les revenus de la source, lui faire une existence plus quiète. Mais le pli était pris, elle vivait chichement. J’aurais dû être plus attentif, m’occuper davantage de son bien-être, dit avec une pointe de regret, presque de remords, le général.
Axel se garda bien de dévoiler que la nouvelle marquise avait aussi l’intention de mettre au clair la comptabilité des métayers. Ces gens grugeaient les Fontsalte avec déférence, fidélité et dévouement depuis tant d’années qu’on pouvait craindre qu’ils prennent comme brimade les justes réclamations que ne manquerait pas de formuler Charlotte.
Au moment de monter dans la diligence, Axel serra la main de Blaise et le remercia d’avoir offert à sa mère une position de châtelaine heureuse. Puis, soudain grave, il ajouta, sans transition :
– Si cela est possible, c’est avec bonheur que j’accéderai au vœu de votre mère de me voir ajouter votre nom au mien.
– Je sais qu’il serait porté avec honneur ! dit Blaise, ému, en lui donnant l’accolade.
La première chose qu’apprit Axel en arrivant à Genève fut l’annonce que le choléra, maladie infectieuse endémique venue des Indes, menaçait la Suisse ! Les aubergistes et hôteliers étaient contraints de déclarer les malades à la police et toutes les marchandises arrivées de France ou de Savoie devaient être entreposées à l’île aux Barques, pour désinfection. Déjà, les droguistes vendaient de grosses quantités de chlorure de chaux, ce produit étant considéré comme une protection contre la maladie épidémique qui faisait peur. Axel ne modifia pas pour autant ses projets et le concierge de l’hôtel de la Couronne, homme informé, l’assura qu’il fallait se garder de toute panique. D’après les voyageurs arrivés de France, quelques cas seulement de choléra avaient été signalés dans leur pays.
Axel séjourna vingt-quatre heures à Genève, pour vérifier qu’en son absence la livraison des pierres de Meillerie s’était poursuivie normalement. La construction du quai des Bergues et du pont qui relierait l’île aux Barques au nouveau quai allait bon train, ainsi que l’achèvement des nouveaux bâtiments annexes de l’observatoire, pour lesquels il fournissait aussi des pierres. Destinés à compléter ceux de l’ancien observatoire, construit en 1772 sur le terre-plein Saint-Antoine, les nouveaux bâtiments, fonctionnels, devaient permettre de mieux étudier la météorologie et la chronométrie. Dans quelque temps, grâce à Alfred Gautier professeur de mathématiques et d’astronomie, qui travaillait avec les savants Marc-Auguste Pictet et Émile Plantamour,
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