Rive-Reine
du tissage de la soie, on peut certes dire que ce pays est ami du progrès, reconnut Fontsalte.
– Vous n’avez pas dit le plus beau, général ! Et le chemin de fer, vous l’oubliez ? dit l’adjudant Trévotte, qui, souvent, se mêlait à la conversation.
– En effet, j’oubliais. Nous avons la première ligne de chemin de fer… de France puisque, depuis 1827, des trains de charbon roulent entre la mine de Saint-Étienne et Andrézieux, qui est un port sur la Loire. Là, on transborde la houille sur de grandes barques à fond plat, fabriquées tout près de Fontsalte, à Saint-Rambert. C’est pourquoi les gens d’ici appellent saint-rambertes ces bateaux qui emportent de quinze à vingt tonnes de charge jusqu’à Roanne.
– Mais ce chemin de fer n’est… encore qu’un chemin, compléta Charlotte.
Elle connaissait, depuis un précédent séjour à Fontsalte, le système de transport imaginé par M. Beaunier, directeur de l’École des mineurs de Saint-Étienne, fondée par ordonnance royale en 1816.
– Certes, ce sont des chevaux qui tirent sur dix-huit kilomètres les wagons de charbon, sauf quand la déclivité est suffisante pour que le convoi roule par gravité, mais, bientôt, la machine à vapeur à chaudière tubulaire, inventée par Marc Seguin, d’Annonay, remplacera la traction animale. Et l’on prévoit l’ouverture d’une ligne régulière pour voyageurs, entre Saint-Étienne et Lyon, dès l’an prochain. Les voies sont tracées et les travaux en cours, expliqua le général.
– Et j’ai lu dans un journal que, d’ici à quelques années, le chemin de fer ira de Paris à Lyon sans discontinuer, dit M me de Fontsalte.
– Pour nous, la ligne de Lyon à Saint-Étienne sera déjà fort commode, car nous irons de Lausanne à Lyon en diligence et de Lyon à Andrézieux, c’est-à-dire à deux lieues d’ici, en wagon, calcula Blaise.
Pendant tout le séjour, Axel Métaz s’amusa de voir sa mère, devenue, du fait de la mort de la douairière, marquise en titre de Fontsalte, jouer à la châtelaine. Dès que Laure, femme douce et modeste, toute dévouée aux malades de l’hôpital de Montbrison, eut regagné son couvent, la Vaudoise prit en charge l’économie domestique et l’entretien du château, activités dont Blaise, pas plus que tous les hommes de la famille avant lui, ne s’était jamais soucié.
S’entendre appeler « Madame la Marquise » par les domestiques de la défunte, un couple de paysans, matois mais corvéables à merci, ravissait Charlotte. Maîtresse des lieux, elle organisa le nettoyage « à fond » de la partie habitée du château, depuis longtemps négligé. On commença par vider les pièces de leur mobilier, ce qui prit des jours, puis on brûla, derrière portes et fenêtres hermétiquement calfeutrées, des bâtons de soufre « pour assainir et chasser les petites bêtes ». Cette offensive eut pour effet de semer la panique chez les rats, souris, cancrelats et punaises, qui cohabitaient en bonne intelligence, depuis plusieurs générations, avec des châtelains moins attentifs à la propreté des lieux que cette Suissesse, atteinte de zoophobie, qui répandait l’insecto-mortifère dans tous les recoins du château. Charlotte recruta les enfants des métayers et une chasse méthodique avec primes fut organisée. Un rat valait trois sous, une souris deux, comme une douzaine de cafards !
– La pauvre M me de Fontsalte ne pouvait organiser ce travail. Et je suis sûre que, là où elle est maintenant, elle se réjouit de voir son château retrouver son cachet, sa propreté et son confort, répétait Charlotte à son mari, comme pour se faire pardonner ce branle-bas hygiénique.
« La générale », ainsi que la nommait Trévotte, fit encaustiquer les meubles, dépendre, brosser et ravauder les tapisseries, battre les tapis, gratter les parquets, racler les dalles et les escaliers jusqu’à ce que la granilite rosée, pierre du pays, révélât à nouveau ses éclats de mica.
Une gigantesque lessive fut entreprise et l’on fit, malgré la canicule, un feu d’enfer dans les cheminées, comme sous les chaudrons, afin de recueillir de la cendre fine. La veille du départ d’Axel, que la vigne et ses affaires rappelaient à Vevey, Charlotte montra avec fierté à son fils, sur les rayons des armoires tapissées de toile de Jouy neuve, des piles de draps, de nappes et de
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