Robin
dessus dessous l’antique
politique royale de son père pour autoriser de Braose à lancer une invasion
dans les terres du pays de Galles.
C’était précisément l’autorisation
royale de piller cette contrée qu’avait tant attendue Neufmarché, et il voyait
à présent ses plans ruinés par la clique cupide de De Braose. Le saccage
inconsidéré de ces terres allait mettre les rusés Bretons sur leurs
gardes ; chaque mouvement de Bernard se verrait désormais opposer une
forte résistance et ne s’accomplirait qu’à un prix considérable de troupes et
de sang.
Qu’il en soit ainsi !
Patienter ne lui avait servi à
rien, aussi n’allait-il pas attendre plus longtemps.
Une fois parvenu à la porte de ses
appartements, il appela son chambellan. « Remey ! Mon matériel d’écriture !
Tout de suite ! »
Après avoir ouvert sans ménagement
la porte, il se dirigea vers le foyer, tira un roseau du fagot et le jeta dans
le petit feu mourant. Il récupéra ensuite le jonc enflammé, le transporta
jusqu’au chandelier posé sur la table en chêne qui trônait au centre de la
pièce, et commença à allumer les bougies. Tandis que la lumière chatoyante
faisait fuir les ombres, le baron s’empara d’un pichet et remplit de vin sa
coupe d’argent, qu’il porta à ses lèvres. Il but d’un trait le breuvage. Puis
il cria derechef après son chambellan et s’effondra dans son fauteuil.
« Sept ans, par la
Vierge ! » grommela-t-il. Il se servit une nouvelle coupe et
hurla : « Remey ! » Cette fois, son appel fut suivi d’un
bruit de pas rapides derrière le seuil dallé de la porte.
« Sire, dit le serviteur en
entrant dans la pièce d’un air affairé, les bras remplis d’ustensiles
d’écriture – des rouleaux de parchemins, un encrier, une poignée de plumes
d’oie, de la cire pour scellé, et un couteau. Je ne m’attendais pas à un si
prompt retour. J’espère que tout s’est bien passé.
— Non, grogna d’irritation le
baron, ça ne s’est pas bien passé. Ça s’est même très mal passé. Pendant que je
faisais ma cour au roi, l’armée de De Braose et de son pleurnichard de neveu a traversé
mes terres pour aller s’emparer de l’Elfael – et qui sait ce qui s’est
passé d’autre sous mon nez. »
Remey soupira de commisération.
Laquais sans âge au visage de furet, à la tête allongée sans cesse recouverte
d’un calot informe en épais feutre gris, il était au service du clan Neufmarché
depuis sa jeunesse passée au Neuf-Marché-en-Lions, vers Beauvais. Il
connaissait bien les humeurs et goûts de son maître, et d’ordinaire savait les
anticiper facilement. Mais cette fois ils l’avaient pris au dépourvu, ce qui
l’agaçait presque autant que le roi avait agacé le baron.
« Les de Braose sont sans
scrupule, nous le savons tous, fit-il remarquer tout en mettant en ordre les
ustensiles qu’il avait posés sur la table devant le baron.
— Prépare-moi une plume »,
lui ordonna Neufmarché qui s’empara d’un rouleau de parchemin et en coupa un
carré avec sa dague, avant de lisser la peau préparée.
Pendant ce temps, après avoir
sélectionné une longue et fine plume d’oie, Remey en coupa minutieusement le
bout sur un angle de la table et la fendit avec le couteau.
« Essayez-la », dit-il en présentant l’instrument d’écriture à son
maître.
Bernard retira le bouchon de
l’encrier, y trempa sa plume, puis fit quelques essais préliminaires sur le
parchemin. « Ça ira. À présent, apporte-moi mon dîner. Et pas de bouillon,
s’il te plaît. J’ai chevauché toute la journée, et je meurs de faim. Je veux de
la viande et du pain, et aussi un peu de cette tourte. Et encore du vin.
— Tout de suite, mon
seigneur », répondit le serviteur avant de laisser son maître à son
ouvrage.
Quand Remey revint, accompagné
cette fois de deux aides de cuisine portant des plateaux de nourriture et de
boissons, il trouva Neufmarché calé dans son fauteuil, en train d’étudier le
document qu’il venait de rédiger. « Écoute ça », dit le baron, qui
leva le parchemin devant ses yeux et commença à lire.
Remey se tint la tête d’une main
pour écouter son maître. C’était une lettre adressée au père du baron à
Beauvais, lui demandant un envoi d’hommes et d’équipement pour l’aider à
conquérir de nouveaux territoires bretons.
«… les acquisitions ainsi réalisées
multiplieront nos possessions par
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