Robin
PROLOGUE
Le sanglier était jeune et prudent, un marcassin reniflant
timidement le vent en quête d’étranges senteurs dans la lumière dorée d’un jour
finissant. Bran ap Brychan, prince de l’Elfael, avait passé toute la journée à
traquer quelque prise valable dans la forêt verdoyante, et il avait bien
l’intention de ne pas laisser filer celle-ci.
Âgé de huit ans et unique héritier, il savait pertinemment
qu’on ne l’aurait jamais laissé s’aventurer seul en forêt. Aussi, plutôt que de
demander la permission, avait-il simplement pris son arc et quatre flèches tôt
dans la matinée puis quitté le caer sans se faire remarquer. Cette chasse, tout
comme le marcassin, était dédiée à sa mère, la reine.
Celle-ci aimait la chasse, elle en savourait la beauté
sauvage et l’excitation viscérale. Quand elle ne montait pas elle-même, elle
préparait avec les femmes le comité d’accueil pour les chasseurs – vin,
danses et chansons. « N’aie pas peur », disait-elle à Bran lorsque,
dans sa prime jeunesse, le bruit des festivités du retour l’effrayait un peu.
« Nous appartenons à la terre. Regarde, Bran ! » De sa main
gracieuse, elle embrassait les collines et la forêt qui s’élevait au-delà tel
un vivant rempart. « Tout ce que tu vois est l’œuvre de notre Seigneur.
Réjouissons-nous de sa générosité. »
Frappée d’une fièvre débilitante, la reine Rhian avait été
malade presque tout l’été, et dans son esprit d’enfant, Bran imaginait que s’il
pouvait lui apporter un marcassin ou un adulte qu’il aurait lui-même abattu,
elle recommencerait à rire et à chanter comme elle l’avait toujours fait, et se
sentirait mieux. Qu elle finirait par guérir.
Il suffisait d’un peu de patience
et…
Aussi immobile qu’une pierre, Bran
attendait dans les ombres grandissantes. Le marcassin s’approchait de lui pas à
pas, ses petites oreilles pointues fièrement dressées. Il s’arrêta pour goûter
à la pousse tendre d’une mauve. Quand Bran, une flèche déjà encochée dans la
corde, brandit son arc, il ressentit dans son épaule et dans son dos la tension
dont Iwan lui avait parlé. « Ne vise pas avec ta flèche, lui avait-il
appris. Contente-toi de l’imaginer dans ta cible. Envoie-la par la
pensée, et si ta pensée est droite, alors le vol de ta flèche le sera
aussi. »
Tendant l’arc autant que sa force
le lui permettait, il inspira calmement et relâcha la corde. Un picotement aigu
envahit le bout de ses doigts. La flèche alla s’enfoncer dans la poitrine du
jeune sanglier juste derrière les pattes antérieures. Surpris, l’animal
redressa aussitôt sa queue et se retourna pour filer dans les bois… mais à
peine avait-il fait deux pas que ses pattes s’emmêlèrent ; il trébucha et
s’écroula. La créature gravement blessée poussa un cri perçant, essaya de se
relever, puis s’effondra, morte.
Bran lâcha un hurlement de triomphe
sauvage. La prise était sienne !
Il courut jusqu’au sanglier et posa
sa main sur l’arrière-train légèrement tacheté de l’animal, pour sentir sa
chaleur. « Pardonne-moi, mon ami, et merci, murmura-t-il comme Iwan le lui
avait appris. J’ai besoin de ta vie pour vivre. »
Ce n’est qu’en essayant de charger
sa proie sur ses épaules que Bran prit conscience de son erreur. Le poids de la
carcasse dépassait ce qu’il pouvait soulever seul. La mort dans l’âme, il
contempla sa prise glorieuse les larmes aux yeux. Ses efforts seraient vains
s’il ne pouvait rapporter triomphalement son trophée jusqu’au caer.
Tombant à genoux sur le sol auprès
du cadavre encore chaud, Bran se prit la tête dans les mains. Il ne pouvait la
porter, encore moins l’abandonner. Que faire ?
Alors qu’il ruminait sa fâcheuse
situation, la forêt se remplit de bruits autour de lui ; le jacassement
d’un écureuil à la cime d’un arbre, le bourdonnement affairé des insectes, le
bruissement des feuilles, le battement étouffé d’ailes au-dessus de lui, et…
« Bran ! »
Le jeune garçon bondit aussitôt. Il
regarda autour de lui, plein d’espoir.
« Ici ! cria-t-il.
Ici ! J’ai besoin d’aide !
— Pars ! » La voix
semblait venir du ciel. Bran leva les yeux pour découvrir un énorme oiseau noir
qui le regardait depuis une branche située juste au-dessus de sa tête.
Ce n’était qu’un vieux corbeau.
« Pschtt !
— Pars ! répéta
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