Sachso
l’embarquement d’un millier d’hommes auxquels s’ajoutent au dernier moment une quinzaine de femmes de Ravensbruck. Nous partons après eux, le lendemain, par un autre train. Les voies ne sont pas partout rétablies ; il nous faut parfois attendre que le Génie remette des rails en place…
« Nous descendons par le nord de la Hollande et, à Bruxelles, quel accueil ! Comme il est beau et surtout bon ce pain blanc que chacun reçoit avec un chocolat chaud et quelques pommes ! Comme cela fait plaisir de retrouver des amis !
« Toujours malade de la dysenterie je n’ose pas manger au début mais devant le pain si blanc la tentation est trop forte. J’en grignote d’abord des petits bouts puis tout le morceau y passe… et chose curieuse, à partir de ce moment-là mes intestins sont momentanément raisonnables.
« À la frontière française, des personnes nous demandent des nouvelles d’un camarade du camp. Certains l’ont connu et rassurent ces gens anxieux. À Lille les formalités d’identification et de rapatriement prennent toute la nuit. À Paris une musique nous accueille à la gare du Nord, où je retrouve ma pauvre vieille maman… »
Au fil des étapes les convois de libérés laissent malheureusement des morts et des malades. À son passage à Haguenow, Moïse Talbot est hospitalisé : « Je repense à tous mes camarades de Conflans-Sainte-Honorine qui étaient au camp avec moi : Jacques Lorioux, Désiré Clément, le colonel Coutisson, René Albert, Alfred Bernard. Sera-t-il dit que je ne reverrai pas mon pays ? Il me faut trois semaines de soins avant d’être rapatrié par avion, directement de Haguenow. »
Intégré au deuxième gros contingent qui quitte Schwerin le 22 mai, Alex Le Bihan ne fait qu’une brève halte à Haguenow, le temps de descendre du train et de prendre des camions américains pour Lunebourg : « Le lendemain, des camions – anglais, cette fois – nous conduisent à Sulingen dans un camp dirigé par des Français, mais où nous avons quelques surprises désagréables. Le pain est infect et l’on n’hésite pas à nous confisquer des objets comme prises de guerre, telles les jumelles rapportées par Vigerie… Après une mauvaise nuit, on nous embarque à Sulingen dans des wagons découverts qui avaient servi au transport de charbon et de minerai. Ils sont sales et un orage épouvantable qui éclate au cours de la première nuit n’arrange pas les choses. Nous sommes trempés jusqu’aux os. Georges Roux est catastrophé. Son journal, document inestimable rédigé au crayon-encre sur du papier hygiénique et relatant nos deux années de camp est maintenant illisible, détrempé par la pluie.
« Au petit jour, un officier de liaison anglais, parlant français, fait stopper notre convoi en rase campagne, nous demande de descendre et d’attendre un train de voyageurs qu’il va mettre à notre disposition.
« Effectivement, nous sommes bientôt dans un train de voyageurs et, à la première gare, des P. G. italiens nous distribuent une soupe chaude commandée par l’officier anglais. Puis nous traversons la frontière hollandaise, Maestricht, Schaarbeck, dans la banlieue bruxelloise, Lille et faisons halte à Hazebrouck, où toute la nuit se passe en formalités et interrogatoires. Le lendemain, par Valenciennes, nous roulons jusqu’à Paris, où la nuit tombe lorsque nous descendons à la gare du Nord. Jusqu’au petit jour, formalités et interrogatoires nous tiennent encore à l’hôtel Lutétia… »
Au métro Sèvres-Babylone, où il fait face aux grands magasins du Bon Marché, le monumental Lutétia est en effet devenu le quartier général du rapatriement des déportés des camps de concentration nazis. Des gares parisiennes, de l’aéroport du Bourget, autocars et autobus y déversent les rescapés qui sont pris dans un tourbillon étourdissant de questions. Questions des officiers militaires de sécurité ; questions des familles de déportés pas encore rentrés ; questions d’autres déportés sur leurs camarades de résistance dont ils ont été séparés… Remise d’une carte ici, tampon là, costume par ci, bon de couchage par là… C’en est trop pour certains qui s’affalent, inertes, ou pour d’autres qui explosent de colère avant de retrouver leur calme devant leur premier vrai repas et leur premier lit à draps blancs. Mais, en Allemagne, la tragédie n’est pas encore finie, pour beaucoup…
Marcel
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