Sachso
et à mesure. Nous travaillons jusqu’à épuisement des vivres tard dans la soirée du 6 mai.
« Nous avons trouvé une petite pièce près des W.-C. pour nous coucher. Nous n’avions pas, hélas, compté avec la dysenterie ! Toute la nuit, le va-et-vient est continuel… et nous coûte cher ; notre part de colis est volée par des affamés, pardonnables dans ce grand malheur. Tant pis pour les cigarettes, puisque je ne fume pas, mais je regrette les biscuits de farine de riz de la Croix-Rouge…
« Au matin, nous demandons à notre tour des volontaires pour nous aider. Sans succès. Personne ne peut rien exiger de ces gens épuisés qui ne tiennent debout qu’à force de volonté, dont certains se traînent et vont mourir… Et de nouveaux soucis s’ajoutent à ceux que nous avons déjà.
« Dans la journée arrive le trop fameux Blumenthal, un traître du grand camp, un dénonciateur de Français qui, durant une période, a couché près de mon lit et a mangé à la table 6 du block 16. Je l’ai plus d’une fois entendu poser des questions à des gens non avertis afin de savoir ce que disaient les gaullistes et les communistes du camp.
« Nous arrêtons donc Blumenthal et un de ses acolytes. En attendant de les remettre aux autorités, je les confie à la garde de camarades qui, malheureusement trop fatigués, s’endorment dans le calme revenu après l’agitation. Les deux traîtres en profitent pour s’échapper. Des déportés retrouveront par la suite Blumenthal et le corrigeront jusqu’à ce que des soldats américains le leur arrachent des mains… pour le libérer deux heures après.
« Dans l’après-midi du 7 mai, nous sommes transférés à la caserne Adolf-Hitler, où l’on nous attribue le bâtiment B, dont je suis nommé responsable. Les docteurs et les infirmiers restent au rez-de-chaussée afin d’éviter les escaliers aux plus malades qu’ils soignent.
« Il arrive quelques dizaines de femmes de Sachsenhausen et de Ravensbruck. Le bâtiment A est à peu près complet. J’essaie de leur attribuer des chambres plus petites pour qu’elles retrouvent un peu de cette intimité dont elles sont privées depuis si longtemps. À son tour, notre bâtiment B est plein et des groupes arrivent toujours. Cerbu est dans le nombre. Je le connais bien et sais qu’il est lieutenant dans l’armée française. Il accepte, à ma demande, d’être chef du bâtiment C.
« Le 8 mai, nous apprenons la fin de la guerre. Nous rassemblons les hommes des trois bâtiments. Le temps est favorable. Tout le monde vient, sans cris, sans heurts. C’est le docteur Ségelle, d’Orléans, qui lit le communiqué officiel. La joie est immense. Certains s’embrassent, d’autres pleurent de joie. Nous observons une minute de silence pour nos morts, pour ceux qui, près de nous, meurent encore… Pourtant, aux fenêtres de ce que nous appelons l’infirmerie, au rez-de-chaussée, des moribonds se sont levés et partagent notre joie malgré leur faiblesse.
« Oui, des hommes meurent là, et rien pour les enterrer ! Nous ne pouvons pourtant pas les laisser ainsi. Devant les fenêtres, entre le bâtiment et la route, il y a un petit jardin. Nous décidons que ce sera le cimetière.
« Les services américains sont débordés par tant de misère. Ils n’ont rien prévu pour les malades et les blessés et leur accueil n’est pas toujours chaleureux. Certains viennent même nous retirer les Allemands qui devaient nettoyer les bâtiments… »
Par leur dévouement et leur ingéniosité, bien des Français comme Louis Péarron s’efforcent de remédier à ces insuffisances, à l’exemple du docteur Ségelle qui se dépense auprès des malades. C’est notamment le cas de Roger Guérin et des autres responsables du premier groupe qui s’est installé dans une aile de la caserne Adolf-Hitler. Il s’agit de Français de la colonne de Parchim qui, d’un commun accord, se sont laissés glisser à l’arrière et ont faussé compagnie aux S. S. le 2 mai.
Roger Guérin réussit à avoir le contact avec un sous-officier américain compréhensif. Il insiste pour avoir des médicaments et des équipes de nettoyage, car les effets de la dysenterie sont catastrophiques : « Le lendemain nous avons gain de cause. Une équipe de civils allemands de Schwerin vient, envoyée par les Américains. Ils sont obligés de casser des canalisations pour évacuer le tout. Heureusement, car sans cela on
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