Sachso
pour les autres. Je prends alors conscience du sort favorisé qui est le mien et je sors de la torpeur où je me laissais aller. J’en ai besoin, car le soir, de retour à “ma” maison, Felix Rooms m’apprend qu’on lui a promis une voiture avec tous les papiers nécessaires pour gagner Bruxelles : seulement les quatre Belges, mais pas moi qui suis Français ! Je me sens un peu mélancolique, mais me réjouis quand même de la chance de mes amis. Et puis dès leur arrivée, ils pourront donner de mes nouvelles chez moi, au Bouscat…
« Le lendemain 12 mal, ce plan est bouleversé. Vers neuf heures, un sous-lieutenant américain se présente à notre demeure. Il met à notre disposition une camionnette et deux soldats pour nous conduire à Lunebourg, à l’ouest de l’Elbe, où se trouve, dit-il, un camp de rapatriement.
« En un quart d’heure nous sommes prêts et faisons nos adieux à Schwerin. Les routes sont en bon état et nous voyons peu de traces de combats. Au passage de l’Elbe, seulement, la résistance semble avoir été plus forte. Là, un incident. La police anglaise nous arrête. Elle interdit aux civils de franchir le pont. Nous descendons tous les cinq et les deux Américains passent avec nos bagages. Nous grillons une cigarette en silence. Chacun de nous voit l’expédition bien compromise. Mais au bout d’un quart d’heure nos deux Américains réapparaissent avec une petite feuille de carnet portant quelques mots et une signature. C’est le talisman qui nous ouvre le passage.
« En route, mes compagnons me font remarquer un policeman anglais. Seul sur la chaussée, au milieu des bois, il dirige la circulation avec ses gants blancs comme s’il était dans le plus aristocratique des quartiers de Londres !
« À Lunebourg, le camp est installé à la caserne d’artillerie, dont les abords sont peu engageants, une foule de civils et de prisonniers faisant la queue à la porte. Le colonel Lentz voudrait se rendre plutôt au Military Government. Les deux Américains sont inflexibles, ils doivent nous remettre au commandant du camp de rapatriement. Et là, miracle ! Ce dernier est un capitaine anglais qui se met en quatre pour nous accueillir avec les officiers de liaison belges qui l’entourent. On nous promet un avion pour Bruxelles le lendemain.
« Dans l’après-midi, on nous présente un Belge suspect. L’ami Félix le cuisine habilement et découvre que c’est un ancien S. S. Il est aussitôt arrêté et sera fusillé.
« À 19 heures, nous prenons nos quartiers dans une splendide maison. À 20 heures nous sommes les invités à dîner du capitaine anglais. Au menu : bifteck, pommes soufflées, salade, radis, pêches, fromage, pain blanc… et vin de Bordeaux. Deux lieutenants-colonels et un colonel nous rejoignent avec une bouteille de champagne. Longue conversation où nous étonnons les Anglais en leur dévoilant un peu la vie au camp de concentration. Cela nous confirme dans notre impression : nous croira-t-on chez nous quand nous dirons la vérité ?
« Dimanche 13 mai : une des Allemandes qui fait le service dans la maison où nous avons couché s’adresse à moi en français. Elle s’appelle M me Muller et a habité précisément au Bouscat. Elle me donne une lettre pour les gens chez qui elle logeait et dont elle a gardé un bon souvenir. À 13 h 50, nous décollons de Lunebourg avec une vingtaine de prisonniers de guerre français. Nous volons à 2 500 mètres d’altitude. Il fait beau, un peu trop chaud dans la cabine et ça secoue. À 15 h 15, nous survolons le Rhin. À 16 h 05, nous atterrissons à Évère. Une voiture me conduit avec Albert Hanset à Bruxelles, chez ses parents, auxquels il a téléphoné de l’aérodrome. Nous y sommes vers 18 heures. Une quinzaine de personnes nous attendent au coin de la rue avec des bouquets de fleurs… »
L’attente à Schwerin ? Louis Péarron en apprend tous les détours, puisqu’il séjourne successivement à l’Arsenal et à la caserne Adolf-Hitler.
À l’Arsenal, où il arrive avec l’amiral Crosnier, il rencontre un capitaine français qui ne cache pas ses difficultés à regrouper et à ravitailler les déportés français. Peut-il être aidé ? Bien sûr, répondent-ils, et Louis Péarron se met aussitôt à la tâche : « Avec deux camarades dont Linquet, nous reconnaissons le casernement, essayons d’évaluer les places disponibles et groupons les arrivants au fur
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